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Inventions de salariés et de dirigeants sociaux, procédure civile
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Inventions de salariés et de dirigeants sociaux, procédure civile
29 septembre 2008

Convention Collective des Industries chimiques de 1985 non appliquée

Jugement  Levasseur-Cruz c/ Laboratoire Goëmar du TGI de Paris du 24 septembre 2008

Observations. - Le texte intégral de ce jugement, aimablement communiqué par Me Michel ABELLO, est reproduit sur le présent blog en date du 24 septembre 2008.

Alors que des discussions plus que laborieuses se poursuivent toujours au CSPI en vue d’une réforme légale du statut des inventeurs salariés, cette décision est typique d’une situation hélas fréquente.

Un agent de maîtrise, titulaire d’une maîtrise de biochimie, Mme Levasseur- Cruz, est salarié du Laboratoire GOEMAR pendant 20 ans de 1986 à 2006, où elle accomplit des tâches de recherches avec une entière autonomie dans le cadre des missions qui lui ont été confiées.

Le laboratoire GOEMAR relève de la Convention collective des Industries chimiques d’avril 1985, dont l’article 17 II prévoit que le salarié auteur d’une invention brevetée a droit à une rémunération supplémentaire d’invention et sera tenu informé de l’exploitation de celle- ci.

Ainsi 7 demandes de brevets sont déposées de 1992 à 1999, dont 3 sont commercialement exploitées sans que Mme Levasseur- Cruz ne se voie versée une quelconque rémunération supplémentaire. Et ce non seulement en application de la Convention collective de 1985, mais aussi de la loi du 26 novembre 1990 (art. L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle).

Situation hélas plus que fréquente dans les PME, dont une enquête du Sénat en 2001 a estimé que deux tiers au moins n’appliquent pas cette obligation, non seulement légale depuis 1990 mais dans le cas présent, conventionnelle dans les Industries chimiques depuis…1955 !

A l’approche de son départ de l’entreprise Mme Levasseur – Cruz s’en plaint courant 2006. A la veille  de son départ en décembre 2006, son employeur lui propose la somme de 1000 euros pour 2 des 7 brevets, dont il reconnaît l’exploitation.

En 2007 Mme Levasseur- Cruz assigne son ex- employeur et demande 80 000 € de rémunérations supplémentaires.

Le Laboratoire GOEMAR s’en tient à ses offres initiales à l’inventeur, que celle- ci avait jugées insuffisantes.

Après sommation de communiquer le Laboratoire GOEMAR refuse de verser aux débats les cahiers de laboratoire de Mme Levasseur- Cruz, qui auraient permis de déterminer sa part contributive pour chacune des inventions.

Le jugement donne raison à l’inventeur Mme Levasseur - Cruz : à laquelle sont attribués une provision de 5000 euros pour chacun des 3 brevets reconnus exploités et 1500 euros pour les 4 brevets inexploités. Avec exécution provisoire. Un consultant est nommé afin de procéder à une expertise comptable et déterminer l’étendue des exploitations commerciales.

Plusieurs attendus de cette décision méritent commentaire.

  1. Mode de calcul de la rémunération supplémentaire d’invention

« Il convient de prendre en considération à la fois le rôle personnel du salarié dans la découverte de l’invention et la valeur relative de celle- ci pour l’entreprise, valeur qui ne peut être déterminée qu’au regard du chiffre d’affaire et de la marge réalisée grâce aux applications industrielles issues du brevet. »

Pour le tribunal la rémunération supplémentaire doit donc  de toute évidence avoir pour assiette de calcul le chiffre d’affaire, et non le bénéfice réalisé grâce à l’invention.

Cet attendu particulièrement pertinent doit être rapproché d’autres prises de position en ce sens de la jurisprudence antérieure, ainsi que de la doctrine (par ex. article Ernst & Young du 16/07/2008 qui propose également un pourcentage du chiffre d’affaire. V. le présent blog Note du 24/09/2008).

Alors qu’au CSPI, certains employeurs préconisent actuellement la détermination de la rémunération d’invention en regard du bénéfice réalisé grâce à l’invention, lui-même constitué par une marge bénéficiaire qui peut être un pourcentage  très variable  du chiffre d’affaire, un très faible pourcentage étant retenu pour constituer la rémunération supplémentaire.

Avec comme conséquence la possibilité évidente et tentante pour l’employeur de soutenir à l’inventeur n’avoir réalisé aucun bénéfice mais au contraire des pertes, afin de ne pas avoir à lui verser de rémunération supplémentaire !

Effectivement pour l’une des inventions litigieuses l’employeur GOEMAR affirme que l’exploitation commerciale a été déficitaire. Pour cette invention le CA était en 2006/2007 de 1 164 985 € et la marge brute de 464 264 € soit 39% du CA. Mais l’employeur fait état d’une exploitation « catastrophique » avec des pertes - sans qu’à la lecture du jugement l’on en comprenne la raison ni que l’on connaisse le montant des pertes alléguées.

Tandis que l’inventeur invoque des subventions (de montant non précisé non plus) qui, apparemment auraient permis d’enregistrer des bénéfices.

  1. Part contributive de chaque co- inventeur à l’invention et droit à rémunération supplémentaire

Le tribunal de grande instance de Paris énonce un attendu fort intéressant sur le droit à rémunération supplémentaire lorsqu’il y a plusieurs co- inventeurs cités dans un brevet.

« Il est constant que lorsque l’invention a été conçue par une équipe, chaque personne physique la composant pour bénéficier du droit à rémunération supplémentaire doit déterminer sa part contributive inventive. »

Dans cette affaire Mme Levasseur- Cruz était citée en seconde position sur le brevet. Le tribunal semble en déduire qu’elle pourrait être le second inventeur en ce qui concerne sa part contributive à l’invention. Nous ne pensons pas qu’il faille en tirer cette conclusion, qui risque fort d’être complètement erronée.

En effet l’ordre dans lequel sont cités les auteurs a certes une importance dans les articles scientifiques, pour lesquels selon l’usage les auteurs sont cités par ordre d’importance de leur contribution. Mais il n’en est pas de même dans les brevets. L’ordre des citations en lui- même ne prouve rien quant à la part contributive. Il peut être soit simplement alphabétique, soit hiérarchique, des supérieurs hiérarchiques du co- inventeur principal pouvant être cités avant lui.

A notre connaissance c’est en tout cas la 1ère fois que cela est dit dans une décision judiciaire de façon aussi nette.

On retrouve des considérations de ce genre dans les décisions GARCIA c/FILLON Investissements (TGI Paris du 1/02/2006 et CA Paris du 10/11/2006) lors desquelles pour une série d’inventions l’inventeur Thierry Garcia a dû argumenter de façon très serrée pour faire reconnaître ses parts contributives de co- inventeur ou sa qualité d’inventeur qui lui étaient contestées (V le présent blog, Notes en date du 10 et du 169 mars 2007)

Ainsi le simple fait d’être cité comme co- inventeur dans le brevet ne suffit pas lorsqu’il s’agit d’apprécier le droit à rémunération supplémentaire. Ceci s’expliquant par une pratique abusive, voire frauduleuse que l’on découvre parfois, consistant pour le P.-DG d’une PME ou le chef d’un service à se nommer co- inventeur avec le véritable et seul inventeur ou même à sa place, alors qu’il n’a pas eu d’activité inventive dans la conception et la réalisation de l’invention. (5ous ce rapport voir également le litige PUECH c/ CNRS, dans lequel le CNRS a voulu nommer  inventeurs ou co- inventeurs des personnes autres que le Dr Puech, reconnu depuis 2002 par plusieurs décisions judiciaires comme le seul inventeur. V. le présent blog, rubrique « Inventions de stagiaires et étudiants, nos Notes sur ce litige).

Cette pratique doit absolument être proscrite car elle constitue une violation du droit moral de l’inventeur à être nommé comme tel dans le brevet, ouvrant de plus la porte à l’attribution frauduleuse d’une rémunération supplémentaire indue.

De plus si le brevet français (ou européen) de priorité est étendu aux USA, elle peut entraîner l’annulation du brevet américain en cas de découverte ultérieure, notamment lors d’un litige en contrefaçon aux USA, le procès étant de plus perdu.

  1. Rémunération supplémentaire pour les inventions brevetées mais non exploitées

A noter enfin que le TGI confirme l’obligation de l’employeur de payer une rémunération supplémentaire pour les brevets non exploités (de faible importance, ici 1500 euros pour 4 brevets).Dans la jurisprudence récente cette obligation avait été déjà décidée notamment par l’arrêt Scrémin c/APG du 14 novembre 2002 de la cour d’appel de Lyon (1500 euros par invention).

Cette montants donnent une idée de l’ordre de grandeur des primes d’invention qui devraient être versées aux inventeurs au dépôt d’une demande de brevet, et qui serait valable pour la période pendant laquelle l’invention n’est pas encore exploitée : environ 1500 euros.

Jean-Paul Martin

29 septembre 2008

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