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Inventions de salariés et de dirigeants sociaux, procédure civile
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Inventions de salariés et de dirigeants sociaux, procédure civile
10 novembre 2008

Classement de l'invention sur des présomptions (loi du 2 janvier 1968)

Cour de cassation

Chambre commerciale

Audience publique du Mardi 3 juin 2008

N° de pourvoi: 07-12517

Non publié au bulletin Rejet

Mme Favre (président), président

SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Thomas-Raquin et Bénabent, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique du pourvoi principal :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 décembre 2006), que M. X... et Mme Y... ont été salariés de la société HB Fuller France au sein de laquelle ils ont exercé des fonctions de directeur de divers services commerciaux, pour le premier, et de chimiste puis responsable du développement hygiène pour la seconde ; que le 30 juillet 1991, la société HB Fuller Licensing & Financing Inc a déposé une demande de brevet européen portant sur un "procédé pour le conditionnement d'un adhésif et l'article conditionné correspondant" avec mention des noms de M. X... et Mme Y... comme inventeurs ; que ces derniers ont saisi la Commission nationale des inventions de salariés qui a notifié à l'avocat des parties par lettre recommandée du 15 septembre 2003 une proposition de conciliation ; que M. X... et Mme Y... ont saisi le tribunal de grande instance ;

Attendu que M. X... et Mme Y... font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur demande, alors, selon le moyen :

1°/ que les documents visés dans les écritures d'une partie et qui n'ont donné lieu à aucune contestation devant les juges du fond sont réputés avoir été soumis à la libre discussion des parties ; qu'en l'espèce, les conclusions de M. X... et Mme Y... font mention de trente deux pièces, dont la communication n'a pas été contestée devant la cour d'appel ; qu'en retenant que les pièces produites par M. X... et Mme Y... n'avaient pas fait l'objet d'une communication à la partie adverse et devaient ainsi être écartées, la cour d'appel a violé l'article 132 du code de procédure civile ;

2°/ que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en relevant d'office l'absence de communication des pièces produites à la partie adverse, sans inviter au préalable les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

3°/ qu'une invention revêt le caractère d'une invention de mission lorsqu'elle résulte de l'exécution par le salarié d'une mission inventive contenue dans son contrat de travail ou d'études et de recherches qui lui sont explicitement confiées par son employeur ; qu'en l'espèce que M. X... et Mme Y..., employés au sein de la filiale française du groupe HB Fuller, exerçaient respectivement les fonctions de directeur commercial et de responsable développement hygiène et étaient ainsi affectés à un département purement commercial ; qu'en se bornant à relever, pour qualifier l'invention en cause d'invention de mission, que des recherches confiées «au laboratoire de la filiale allemande du groupe Fuller» avaient été « étendue s à la filiale française du groupe» et que M. X... et Mme Y... y avaient participé «en raison de leur qualité et de leurs fonctions respectives», sans constater qu'une mission de recherche leur avait été explicitement confiée par un ordre spécifique de l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 611-7, 1°, du code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel n'a pas écarté des débats les trente deux pièces mentionnées par les demandeurs dans leurs conclusions, mais des pièces, dont elle a constaté qu'elles n'avaient pas été communiquées, et sur lesquelles elle ne pouvait donc, en application de l'article 16 du code de procédure civile, fonder sa décision ;

Et attendu, en second lieu, que la cour d'appel, qui a constaté qu'une mission avait été explicitement confiée au laboratoire de la filiale allemande du groupe Fuller, puis à la filiale française, afin de trouver une solution au problème technique finalement résolu par l'invention, qu'en raison de ses fonctions, Mme Y... avait procédé à des recherches et essais afin de parvenir à l'objectif qui lui avait été confié, que M. X... avait guidé ses travaux afin de les adapter aux besoins des clients avec qui il entretenait des contacts réguliers, que les deux salariés rendaient compte régulièrement de l'avancée de leurs études et de leurs résultats à leur directeur et communiquaient régulièrement avec un ingénieur de la filiale allemande, a, procédant à la recherche prétendument omise, constaté que l'invention relevait d'une mission explicite de recherche donnée par l'employeur ;

D'où il suit que le moyen, qui manque en fait en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident éventuel :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. X... et Mme Y... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trois juin deux mille huit.

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris du 15 décembre 2006 

Observations.

Dans une Note en date du 6 avril 2007 nous avons commenté l’arrêt du 15 décembre 2006 et indiqué qu’à notre avis le classement de l’invention comme « de mission » était vicié par une insuffisance de motifs pouvant justifier un pourvoi en cassation.

En effet la cour d’appel se contentait de relever qu’une mission de recherche avait été confiée à une société allemande et avait été étendue à l’entreprise française, au sein de laquelle les deux co- inventeurs étaient employés.

Sans préciser leurs fonctions et sans avoir de plus analysé de nombreuses pièces citées par les co- inventeurs à l’appui de leurs dires.

Alors que l’article L. 611-7 du CPI spécifie que la mission de recherche doit avoir été explicitement confiée à l’inventeur afin que l’invention soit classée « de mission ». Ce qui en raison du caractère d’exception de l’article L. 611-7 doit être interprété de façon restrictive, le doute devant bénéficier au salarié.

Rappelons que la CNIS au vu des éléments qui lui avaient été soumis avait classé l’invention « hors mission attribuable » à l’employeur. Classement qui avait été confirmé par le jugement du TGI Paris du 18 mai 2005, lequel de plus avait décidé une expertise afin d’évaluer le juste prix.

Les co- inventeurs n’ayant pas accepté la décision de la cour d’appel, se sont pourvus en cassation. Laquelle rejette le pourvoi et confirme donc le classement « de mission » aux motifs suivants :

-          Les 32 pièces non analysées par les juges du fond n’ont pas été écartées des débats mais elles n’avaient pas été communiquées à la partie adverse (l’employeur). De ce fait la cour d’appel ne pouvait pas se fonder sur elles pour motiver sa décision.

-          Le co- inventeur Mme Y... a « procédé aux recherches et essais afin de parvenir à l’objectif qui lui avait été confié »,

-          Le second co- inventeur « M. X... a guidé ses travaux afin de les adapter aux besoins des clients avec lesquels il entretenait des contacts réguliers »

-          « Les deux salariés rendaient compte régulièrement de l’avancée de leurs études et de leurs résultats à leur directeur et  communiquaient régulièrement avec un ingénieur de la filiale allemande »…

Ces éléments relativement flous ne constituent pas des preuves de l’existence d’une mission inventive clairement et expressément attribuée aux salariés en cause. En effet ces considérations assez vagues auraient aussi été a priori applicables à des recherches menées hors mission de recherche explicitement confiée par l'employeur.

Il aurait fallu que les juges du fond s’appuient sur des documents explicites, attribuant la mission de recherche (définie) aux deux salariés Mme Y et M. X. Ce qui n'a pas été le cas.

Voir sur ce point nos commentaires dans « Le Droit des inventions de salariés » par Jean-Paul martin, Editions Litec, 3ème édition, oct. 2005, § 27 page 9 et 92 page 32).

Ces éléments ne constituent que des présomptions de l’existence d’une mission inventive.

En somme la Cour suprême et les juges du fond ont statué comme sous l’empire de l’ancienne loi du 2 janvier 1968. Ce que l’on ne peut que regretter.

Les pièces produites par les salariés n’ayant pas été analysées par les juges du fond, il eût été possible de statuer au bénéfice du doute en faveur des salariés et donc de classer l’invention hors mission attribuable, comme l’avaient fait la CNIS et le TGI. Au lieu de cela les hauts magistrats comme les juges du fond se sont contentés de motifs généraux qui n’établissent que des présomptions, alors que des preuves étaient exigibles.

La conséquence pour les salariés est l’absence d’expertise comptable qui aurait pu fonder un juste prix en rapport réel avec l’intérêt commercial de l’invention. Ce qui n’est  a priori pas le cas pour les rémunérations supplémentaires de 30 000 euros attribuées à chaque co- inventeur de façon arbitraire sans justification aucune par rapport au chiffre d’affaire réalisé, qui n'est pas connu.

Montant de 30 000 euros que bizarrement l’on retrouve à l’identique dans plusieurs décisions récentes de jurisprudence quel que soit la chiffre d’affaire et l’intérêt commercial des inventions !…Autrement dit les juridictions du fond et la CNIS fixent la rémunération supplémentaire a minima et de façon  quasi arbitraire.

Ce qui entraîne une démoralisation certaine (pour ne pas dire un écoeurement) des chercheurs- inventeurs du secteur privé, souvent licenciés en raison de leur différend avec leurs employeurs sur la rémunération de l’invention, et dont en outre les droits à une juste rémunération supplémentaire (ou à un juste prix) ne sont pas reconnus par la justice. Démoralisation dont l’une des funestes conséquences est l’exil de brillants chercheurs dans certains pays rétribuant leurs talents à leur juste mesure.

Les cas dans lesquels la suite de la carrière d'inventeurs salariés et même la vie personnelle de l'intéressé ont été véritablement ruinées  par un tel litige, dont la durée devant la justice peut dépasser les 10 années, ne sont hélas pas rares.

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