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Inventions de salariés et de dirigeants sociaux, procédure civile
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Inventions de salariés et de dirigeants sociaux, procédure civile
15 décembre 2008

Rémunération supplémentaire : retour au système antérieur à 2000

Arrêt de la cour d’appel de Paris du 28 novembre 2008 THURIER c/ SA COMAU France (4ème chambre, section B)

Rémunération supplémentaire de 37 inventions de mission- absence de rapport d’expertise

Cet arrêt (inédit) de la cour d’appel de Paris fait suite au jugement du 25 avril 2007 du TGI de Paris (3ème chambre, 1ère section), commenté sur le présent blog par une Note en date du  25 août 2007

Procédure d’expertise enlisée

Salarié de 1982 au 28 février 2005 de la Sté COMAU France qui conçoit et fabrique des matériels et systèmes de robotique, productique, fabrication assistée par ordinateur, Yvan THURIER ingénieur ENSAM, chef de Bureau d’Etudes, responsable Développement Automation et Process est l’auteur de 37 inventions brevetées.

En 2004 il forme une demande de paiement de rémunération supplémentaire pour l’ensemble de ses inventions brevetées après la loi du 26 novembre 1990.

Il se heurte à un refus catégorique de sa direction.

Il saisit d’abord la CNIS, qui propose une rémunération supplémentaire globale de 40 000 euros.

Yvan THURIER rejette cette proposition et saisit le TGI de Paris, qui le 25 avril 207 fixe une provision à 40 000 euros et ordonne une expertise afin de déterminer le montant de la rémunération supplémentaire globale due.

La Sté Comau n’ayant pas dans les délais fixés par le jugement consigné le montant des honoraires d’expertise, le salarié est contraint de les avancer à sa place. Puis l’ex-employeur ne fournit pas à l’expert les informations nécessaires à l’exécution de sa mission. La procédure d’expertise traîne en longueur, au point qu’alors qu’un délai de 6 mois avait été fixé à l’expert par le jugement du TGI de Paris du 25 avril 2007, aucun pré- rapport ne semble avoir été établi au bout de plus de 15 mois. De ce fait l’inventeur se résigne à demander à la cour de se prononcer sans le rapport de l’Expert.

Rémunération supplémentaire : retour à l’ancien système forfaitaire d’un multiple du salaire mensuel de l’inventeur

L’ex-employeur demandait que le montant ne dépasse pas 6 010 euros par invention, « divisée pour chaque invention par le nombre d’inventeurs ».D’où un montant de 7 512 euros ou de 9 515 euros en fonction du nombre d’inventions effectivement retenues. Pour les brevets exploités l’ex-employeur demandait que soit pris comme référence le dernier salaire mensuel du salarié (comme avant les arrêts Raynaud de 1997 et 2000).

Le salarié inventeur proposait de distinguer entre inventions exploitées et inventions non exploitées (15 sur 37 d’après l’inventeur, 32 sur 37 d’après l’ex-employeur) en prenant en compte le barème de l‘UIMM soit, pour un seul inventeur :

- Prime de dépôt  476 €

- Prime d’extension 1000 €

ces montants étant réduits en cas de pluralité d’inventeurs.

Pour les brevets exploités et dont des éléments comptables d’exploitation commerciale étaient connus – 5 brevets et un CA de 38 890 336 € - le salarié demandait 1% du chiffre d’affaire réduit proportionnellement en cas de pluralité d’inventeurs, soit 202 231,82 euros.

S’y ajoutaient des brevets exploités mais dont l’importance de l’exploitation n’était pas connue faute d’éléments fournis par l’ex-employeur, soit 14 brevets. Pour ceux-ci l’inventeur proposait de retenir le même mode de calcul que le barème de l’UIMM en y ajoutant une prime forfaitaire de 2000 euros par brevet.

La cour d’appel se prononce de façon surprenante sur le mode de calcul retenu pour la rémunération supplémentaire :

« Considérant cependant qu’il ( M. Thurier) ne fournit pas d’élément technique permettant d’apprécier l’importance de l’invention considérée dans les commandes sus énoncées ; qu’en l’absence de ces éléments à la fois techniques et comptables, il convient de procéder à une appréciation forfaitaire qui prend pour base le montant du dernier salaire de l’inventeur ( 6000 euros multiplié, compte tenu de l’importance de l’exploitation, par trois quand il est seul inventeur et réduit proportionnellement lorsqu’il y a plusieurs inventeurs désignés (FR 97 07700, 95 05228 et 02 01764) ce qui conduit à fixer la rémunération supplémentaire due pour les brevets dont on a connaissance de l’exploitation, à la somme d 54 000 euros.

Que la rémunération supplémentaire totale s’élève ainsi à la somme de 106 241 euros  (37 722 + 15 519 + 54000). »

(Les deux premiers sous- totaux étant obtenus par application du barème de l’UIMM et d’un forfait de 2000 euros par brevet exploité mais dont l’importance de l’exploitation n’est pas connue).

Soit 2 871 euros par invention.

La référence au dernier salaire de l’inventeur, demandée par l’ex-employeur est donc retenue par la cour d’appel.

Déplorable marche arrière.

En effet l’arrêt RAYNAUD c/ HOECHST ROUSSEL UCLAF du 21 novembre 2000 de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, qui a fait jurisprudence, a décidé qu’il ne résulte ni de la loi ni du texte conventionnel en cause (la Convention collective des Industries chimiques de 1985) que la rémunération supplémentaire d’une invention de mission doive être calculée sur la base du salaire de l’inventeur.

Mais plutôt en fonction de l’intérêt économique/commercial de l’invention, comme dans cette affaire cela était du reste expressément prévu par la Convention collective des Industries chimiques applicable.

L’arrêt COMAU du 28 novembre 2008 est contraire à l’arrêt de la Cour suprême RAYNAUD c/ ROUSSEL UCLAF du 21 novembre 2000.

Selon la pratique antérieure à l’affaire RAYNAUD dans les entreprises, la rémunération supplémentaire était généralement comprise entre un et trois mois du salaire mensuel de l’inventeur. Exceptionnellement quatre mois.

De ce fait le montant de la prime d’invention était directement fonction de la position hiérarchique de l’inventeur et du montant de son salaire mensuel.  Système peu équitable : pour une invention de faible intérêt un cadre supérieur pouvait percevoir une prime d’invention supérieure à celle attribuée à un technicien non- cadre pour une invention importante.

Après ce tournant de la jurisprudence les entreprises en ont pris acte et révisé leurs modes d’évaluation des rémunérations d’inventions pour les déconnecter des salaires des inventeurs. De même que l’ensemble des juridictions, de première instance et d’appel.

A notre connaissance c’est la première décision de justice depuis 2000 qui revient en arrière et reprend explicitement pour base de la rémunération supplémentaire d’invention de mission le salaire de l’inventeur.

Alors que l’inventeur demandait un pourcentage du chiffre d’affaire (1%) :

Mode de calcul demandé depuis 2006 par l’AIS (Association des Inventeurs Salariés) et préconisé par l’auteur de  cette Note devant le Groupe de Travail « Inventeurs Salariés » du CSPI en 2008 – Voir Rubrique « Projet de Réforme de la Rémunération Supplémentaire » sur le présent Blog).

La cour d’appel de Paris opère donc un virage à 180 degrés avec retour à l’ancien système en vigueur dans les entreprises avant les décisions RAYNAUD c/ ROUSSEL UCLAF (arrêt CA Paris du 19 décembre 1997, arrêt C. cass. du 21 novembre 2000) !

Paralysie de l’expertise récompensée et cautionnée par la cour d’appel

Faute d’une coopération minimale avec l’expert en vue de lui fournir les informations dont il avait besoin, la procédure d’expertise a été paralysée et n’a pu aboutir à l’établissement du rapport de l’Expert.

Face à ce constat on aurait pu s’attendre à ce que la cour d’appel sanctionne la partie responsable de cet échec. Par exemple en donnant satisfaction au salarié inventeur, qui demandait 1% de la partie du chiffre d’affaire (39 millions d’euros) connue malgré la non- coopération de l’une des parties, montant du reste réduit en fonction du nombre de co- inventeurs pour les brevets où Yvan Thurier n’était pas le seul inventeur cité.

Les 39 Meuros ne représentant qu’une partie du CA réel d’exploitation, inconnu puisque l’expert n’avait pas pu le déterminer en 15 mois d’investigations.

Le montant total demandé par l’inventeur étant de 202 000 euros pour 37 inventions dont une partie était exploitée. Ce qui n’avait on en conviendra rien d’exorbitant ou de déraisonnable pour un CA de 39 Meuros soit un peu plus de 0,5% de ce CA lequel  ne constituait de plus qu’une fraction du CA réel, demeuré inconnu… Et alors que la cour d’appel a finalement accordé 106 000 euros.

Au lieu de cela, non seulement la cour d’appel de Paris ne sanctionne pas la partie défaillante, mais elle la cautionne en en acceptant sa demande de fixer forfaitairement, selon l’ancien système antérieur aux arrêts RAYNAUD, le montant de la rémunération supplémentaire entre un et trois mois du salaire mensuel de l’inventeur !!

Décision qui une fois de plus met en évidence l’urgence d’une loi définissant un mode de calcul de la rémunération supplémentaire d’invention de salarié proportionnellement au chiffre d’affaire ;

Loi réclamée depuis 2006 par l’Association des Inventeurs Salariés (AIS).

Malheureusement, alors que le CSPI a été chargé depuis le 9 novembre 2007 de formuler des propositions en ce sens, en décembre 2008 le rapport résultant de ses travaux, établi en octobre 2008, reste rigoureusement confidentiel. Les intéressés, les inventeurs salariés, n‘étant pas admis à être informés de ce rapport secrètement préparé à leur intention sans qu’ils aient pu participer aux discussions en vue de son élaboration, car non représentés au CSPI … (V. rubrique « Projet de Réforme de la Rémunération supplémentaire » du présent Blog).

Nul ne sait si et quand un projet de loi sera soumis au Parlement sur cette question.

Alors que face à la récession économique qui s’aggrave et à une recherche en perte de vitesse, il s’agit d’une question vitale pour l’avenir de l’innovation et de la compétitivité des entreprises françaises.

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