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Inventions de salariés et de dirigeants sociaux, procédure civile
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Inventions de salariés et de dirigeants sociaux, procédure civile
20 mai 2011

Invention HMA, droit applicable- juste prix, date de fixation

 

Jugement du TGI de Paris (3ème chambre, 3ème section) Pascal M. c/ Sté ASSA ABLOY HOSPITALITY, SAS du 17/12/2010

Salarié investi de fonctions commerciales - Inventions hors mission attribuables – droit applicable à la 1ère invention – contrat de travail de droit français : régime des inventions de salariés de la loi française applicable  – évaluation de la part contributive à la 1ère invention du salarié – prétendue cession de droit de propriété industrielle  – date d’évaluation et montant du juste prix – classement des 3 autres inventions comme hors mission attribuables – délai d’exercice du droit d’attribution par l’employeur suspendu par l’assignation du salarié

 

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Pascal M. salarié responsable de gestion et de l’activité marketing du groupe Assa Abloy a participé à la conception et à la mise au point de 4 inventions brevetées. Celles- ci ont trait à des systèmes de gestion et de commandes de serrures d’appartements, de maisons, de chambres d’hôtels au moyen de téléphones portables comportant des clefs numériques intégrées, et non plus de clefs classiques ou simplement magnétiques.

 

Les faits

 Pascal M. a participé à la réalisation d’une première invention qui a fait l’objet d’une demande de brevet américain de priorité, étendue ensuite sous forme de demande internationale PCT entrée en phase européenne le 20/04/2009. Cette invention est exploitée commercialement.

 Selon le jugement un projet de cession des droits de PI à l’employeur pour le programme industriel incorporant cette invention a été négocié entre le salarié et l’employeur. Il prévoyait notamment la création d’une société ad hoc dont le salarié Pascal M. serait le directeur général.

 Le 5/03/2009 la salarié est mis à pied, puis licencié le 17/03/2009 pour faute grave.

 Le 30/04/2009 le salarié dépose à titre conservatoire 3 demandes de brevets visant 3 dispositifs de commande et de gestion sans contact de serrures par téléphone portable, dont il est l’inventeur.

 Le 17/06/2009 le salarié assigne son employeur en paiement du juste prix des 4 inventions en raison de leur classement d’inventions hors mission.

 Il demande 500 000 euros HT pour la 1ère invention et revendique la propriété des 3 autres, car il soutient que l’employeur n’aurait pas valablement revendiqué les inventions dans le délai réglementaire de 4 mois à compter de la déclaration d’inventions.

 Procédure :

 ASSA ABLOY soutient que la 1ère invention relève du droit américain et non du régime légal français des inventions de salariés de l’article L. 611- 7 du Code de la PI, et chiffre la contribution du salarié pour cette invention à…2,4% ( !)

 Elle soutient également que les 3 autres inventions sont des inventions de mission lui appartenant.

 Le TGI statue de la façon suivante :

 

-          Le droit applicable à la 1ère invention

 « Il est acquis que le contrat de travail est régi par la loi choisie par les parties, sans que ce choix ait pour résultat de priver le salarié de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi qui, à défaut de ce choix, serait applicable. »

 Cette position du Tribunal est difficilement compréhensible : d’une part selon lui c’est la loi choisie par les parties qui est applicable : donc si dans cette espèce les parties avaient choisi a loi américaine, c’est celle- ci qui s’appliquerait. Mais en même temps ce droit américain ne devrait pas priver le salarié des dispositions impératives de la loi française qui à défaut de ce choix, serait applicable !...

 Comprenne qui pourra… Il n’y a pas de loi américaine fédérale en matière d’inventions de salariés…mais seulement une maigre jurisprudence, bien peu favorable aux salariés..

 Le salarié Pascal M. a signé 3 lettres d’engagement successives, dont la dernière en date du 29/08/2005 annule et remplace les précédentes. Selon cette dernière lettre, « à compter du 11/04/2005 Pascal M. a été embauché au sein de la société ASSA ABLOY France, pour le compte de ASSA A H Group ». « Il ressort de ce contrat de travail (…) que les parties ont expressément choisi de soumettre le contrat à la loi française (…) en désignant au titre « législation applicable et compétence juridictionnelle » le conseil des Prud’hommes de Troyes où est situé le siège administratif de la St »é ASSA ABLOY France. (…) «

 Cette Sté est de plus rattachée à la CC de la Métallurgie et applique la législation française en matière de congés payés, RTT etc…

 Enfin  « la lettre d’embauche du 14/02/2005 stipule qu’à compter du transfert de M. M. en France il serait soumis à un contrat de travail de droit français et au droit du travail français. (…)

 Il est ainsi établi que pour la période du 11/04/2005 au 17/03/2009 date de son licenciement, M. M. était salarié en vertu d’un contrat de travail régi par le droit français. »

 Cette question du droit national applicable en matière d’inventions de salariés n’est pas souvent soulevée. La décision prise par le Tribunal de Paris est parfaitement correcte en droit.

 

-          Evaluation de la part contributive de co- inventeur du salarié pour la 1ère invention

 Le salarié estime sa part contributive à 80%, les 20% restants étant répartis entre 5 autres co- inventeurs désignés dans le brevet.

 ASSA A France estime cette contribution inventive à 5%, qui serait matérialisée principalement par la revendication 33.

 Le Tribunal examine différents pièces versées aux débats sur cette question, d’où il ressort que « la contribution de M. M. dans l’invention est suffisamment démontrée mais la prépondérance de sa participation par rapport aux contributions des autres co- inventeurs n’est pas établie, alors que la charge de cette preuve lui incombe. (…) Il n’est pas démontré que l’apport du demandeur se limite à la seule revendication 33 et compte tenu de l’ensemble de ces éléments, de l’apport de M. M et de la teneur de sa contribution, principalement fonctionnelle, il y a lieu d’évaluer à 10% sa part contributive. »

 Nos observations : En conclusion les salariés chercheurs ont intérêt à conserver avec soin par devers eux et en lieu sûr, au fur et à mesure de leurs recherches,  copies de tous documents techniques ou autres, susceptibles de permettre d’évaluer au mieux, au plus près de la réalité, les pourcentages des parts contributives des différents salariés pouvant être nommés comme co- inventeurs dans une possible future demande de brevet…A fortiori si la demande de brevet a déjà été déposée mais que la nomination des différents co- inventeurs n’est pas encore réglée, ce qui est fréquent. (Le déposant de la demande de brevet  dispose d’un délai de 16 mois pour citer les co- inventeurs).

 

-          Prétendue cession gratuite à l’employeur des droits de propriété industrielle sur la 1ère invention

  « ASSA ABLOY HOSPITALITY se prévaut de la signature par M. M d’un acte de cession à titre gratuit des droits attachés l’invention suivant acte du 7 octobre 2007. Cependant elle ne développe ce moyen que dans le cadre du droit américain qu’elle estime devoir s’appliquer. Or il a été statué ci-dessus que seul le droit français s’applique à l’invention litigieuse. (…) Il résulte de la comparaison de ce document prétendument signé par le demandeur le 10 juillet 2007 et des autres documents versés aux débats, notamment les contrats de travail le liant avec le groupe ASSA ABLOY, qu’aucun des éléments composant habituellement sa signature ne se retrouve dans celle apposée sur l’acte de cession de droit. (…) le tribunal ne peut donc que constater que l’acte de cession ne peut être attribué à M. M.

 (…) Aucune cession de droit à titre gratuit au profit de la société ASSA ABLOY HOSPITALITY n’est démontrée. »

 

Ceci se passe de commentaire…

 -Sur le montant du juste prix, sa date d'évaluation

 «  Il s’ensuit que conformément à l’article L. 611-7-2° du code de la PI, l’employeur doit payer à M. M un juste prix, lequel doit être évalué au jour de l’attribution de l’invention à l’employeur.

 Compte tenu d’une part de l’utilité industrielle et commerciale de l’invention attendue et des perspectives normalement espérées au jour de l’attribution, (NDLR. : la date de dépôt de la demande de brevet américain provisoire de priorité) et de la contribution de M. M, il y a lieu de fixer le juste rémunération qui doit lui être versée par la société ASSA A H à la somme de 50 000 euros TTC … »

 Nos observations : Une fois de plus nous nous élevons contre ce qui semble dans la jurisprudence être devenu un dogme révélé d’en haut par une autorité supérieure et indiscutable, à savoir que le juste prix devrait être évalué rétrospectivement au jour de l’attribution de l’invention…c'est-à-dire au jour du dépôt de la première demande de brevet de priorité.

 Même si entre cette date et la date du jugement (de l’arrêt) il s’est écoulé 5, 10 ou 18 ans et que dans l’intervalle l’invention a été commercialement exploitée et que l’on connaît en particulier par le rapport d’un Expert, son chiffre d’affaires, ses marges bénéficiaires, les profits globaux réalisés…

 NON, NON et NON !

 Nous renvoyons une fois de plus à notre étude sur la question :

http://jeanpaulmartin.canalblog.com/archives/inventions_hors_mission_attribuables__juste_prix/index.html

 L’utilité industrielle et commerciale ne peut être valablement évaluée à la date d’attribution de l’invention : pour cela il faut une période d’exploitation commerciale et/ou industrielle, car cette « utilité » » ne peut être déterminée que sur la base de du chiffre d’affaires ou des profits engrangés par l’exploitation de l’invention; postérieure par définition à l’attribution de l’invention à l’employeur et qu’on ne peut prévoir à la date d’attribution de l’invention . Donc il faut un recul de plusieurs années, que l’on a justement, en général, à la date du jugement.

 Par ailleurs les  apports "initiaux " du salarié et de l’entreprise, évalués de façon incertaine de nombreuses années après la date de l’attribution de l’invention, ont une valeur relative. Et quelle est la limite dans le temps de ces apports « initiaux » ? La loi ne le dit pas.

           Sur les 3 inventions du système « DIGITAL SESAME »

  « Il ressort de l’ensemble des éléments examinés que M. M n’a notifié à son employeur la déclaration d’invention (…) que le 7 mai 2009 et la référence à l’article R. 611-10 du code de la PI dans cette correspondance ne saurait suffire à conférer une autre fonction à cette notification.

 (…) l’employeur bénéficiait en conséquence d’un délai de deux mois à compter  de la réception de la déclaration, soit à compter du 10 mai 2009, pour prendre position sur le classement de l’invention et d’un délai de 4 mois pour, le cas échéant, en revendiquer l’attribution.

 Or M. M a fait assigner la Sté A A H le 17 juin 2009 (…) ce qui a suspendu les délais ouverts à l’employeur pour prendre position, par application de l’article R. 611-8 du code de la PI.

 Il s’ensuit que M. M ne peut se prévaloir d’un quelconque refus par son employeur d’exercer son droit d’attribution, alors que le délai ouvert à l’employeur a été suspendu par l’introduction de la présente instance, et il est donc irrecevable à invoquer la titularité des droits sur les trois inventions constituant le système DIGITAL SESAMER.

 Le délai d’option ouvert à l‘employeur n’étant pas expiré, le tribunal ne peut statuer sur la nature des inventions. »

 Ce raisonnement ne souffre pas de critique.

-          Sur le classement des 3 inventions faisant l’objet des 3 demandes de brevets déposées par le salarié à titre conservatoire

 « Il ressort de la description des fonctions de M. M qu’aucune mission inventive générale ne lui était confiée et la société A A H ne peut se contenter de prétendre qu’il bénéficiait d’une large part d’innovation, sans d’ailleurs le démontrer, pour se prévaloir d’une telle mission implicite.

 (…) Les trois inventions constituant le projet DIGITAL SESAME ont été réalises par M. M en-dehors de toute mission inventive  (…) Elles relèvent du régime des inventions hors mission attribuables.

 Le délai accordé à l’employeur pour le cas échéant, revendiquer le droit d’attribution ayant été suspendu par l’introduction de la présente procédure, la demande de M. M en fixation du juste prix est irrecevable comme étant prématurée. »

 Le raisonnement du Tribunal est tout à fait juste.

 Le Tribunal décide :

 -          Que l’employeur doit payer pour la 1ère invention un juste prix de 50 000 euros TTC.

 -          Que les 3 autres inventions sont des inventions hors mission attribuables. Et que l’introduction de l’instance a suspendu le délai de 4 mois ouvert à l’employeur pour revendiquer le droit d’attribution. Et déclare en conséquence irrecevables les demandes du salarié relatives à ces trois inventions ;

 -          Condamne ASSA ABLOY HOSPITALITY aux dépens et à payer au salarié la somme de 25000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

 -          Ordonne l’exécution provisoire du présent jugement.» 

Observations.

La 1ère invention a été exploitée commercialement. Mais aucune information relative à son CA d’exploitation et aux profits réalisés n’est fournie, ce qui est regrettable. Aucun expert n’est nommé pour évaluer l’étendue de l’exploitation commerciale et les marges bénéficiaires.

Le salarié demandait 500 000 euros HT. Le TGI lui accorde moins du dixième soit 50 000 euros TTC, et ce de façon complètement arbitraire, "à la louche" sans aucun mode de calcul justificatif, comme d’habitude.

 La date de fixation du juste prix retenue est rétroactivement celle de l’attribution de l’invention, ce contre quoi nous nous élevons comme résultant d’un raisonnement erroné. Dont le seul avantage (inavoué) est de permettre de minorer arbitrairement et injustement le montant du juste prix à verser au salarié.

 La décision relative aux 3 autres inventions peut par contre être approuvée car correcte en droit. Le salarié doit donc attendre que les délais de 2 mois et de 4 mois soient écoulés pour reprendre le cas échéant cette procédure.

Nous ignorons actuellement si ce jugement a fait ou non l’objet d’un appel.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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