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Inventions de salariés et de dirigeants sociaux, procédure civile
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Inventions de salariés et de dirigeants sociaux, procédure civile
13 août 2013

Juste Prix des inventions attribuables : Très important arrêt de la Cour de cassation com. 09 07 2013 AUDIBERT / Arcelor Mittal

L’arrêt AUDIBERT c/ ARCELOR MITTAL de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 9 juillet 2013 (n° 12-22.157) est une importante victoire de la Raison contre la « déraison», l’incohérence des raisonnements juridiques qui ont eu cours jusque là dans la jurisprudence sans susciter de la part de la doctrine une quelconque critique autre que celle de l’auteur de ces lignes..

Cet arrêt est intégralement publié à la date du 13/08/2013 sur ce blog dans la présente rubrique "Inventions attribuables".

Il met fin à une saga record absolu de durée des Annales de la PI : 21 années de procédures judiciaires en cascade (1992 - 2013 !!) entre le "David" Francis AUDIBERT ex- agent non - cadre de nettoyage salarié de SOLLAC, sans formation technique, et le "GOLIATH" ARCELOR MITTAL géant mondial de la sidérurgie...

21 années (!) qui se terminent par une victoire "aux points" de David contre Goliath (le KO eût été que "Goliath" soit condamné à payer ce que demandait "David", à savoir 1 525 000 € HT + les intérêts cumulés), lequel a dû payer 551 700 € HT de "juste prix" à son ex- salarié alors qu'il avait été condamné en 1ère instance à lui payer un juste prix de 70 000 € HT + les intérêts consolidés sur 20 ans soit en tout 120 500 € HT.

 Observations.

La Chambre commerciale de la Cour de cassation a, pour la première fois, pris parti sur l'irritante question que l’auteur de ces lignes soulèvait depuis des années et des années, sans résultat, dans ses articles publiés sur les inventions hors mission attribuables :

  1. Pour l'évaluation du juste      prix, d'une part la majorité des décisions posent le principe de son      évaluation rétroactive à la date      de l'attribution (la plupart du temps : date de dépôt de la      demande de brevet) . Logiquement selon cette règle on devrait donc ignorer tout ce qui s'est passé après cette date,      notamment les CA d'exploitation de l'invention..., et se reporter rétroactivement      à la date d'attribution à laquelle par définition rien n'a encore été      exploité..!

Exercice intellectuel de haute volée, particulièrement ardu quand il faut à l’opérateur se reporter mentalement à 18 ou 20 ans en arrière, en faisant abstraction de tout ce qu’il sait par les pièces versées au dossier, qui est postérieur à la date d’attribution !... Une véritable fiction intellectuellement quasi-impossible dont le juge du fond est seul « juge et partie », à moins de disposer d’écrits datés de cette époque et exposant clairement les prévisions d’exploitation commerciale/industrielle établies lors de l’attribution à l’employeur…

  1. Or, l'article L.611-7 du CPI impose de tenir      compte de "l'utilité industrielle et      commerciale de      l'invention" pour évaluer le juste prix. MAIS      cette utilité commerciale ne peut être évaluée qu'au regard des Chiffres      d’Affaires d'exploitation réalisés POSTERIEUREMENT à la date d'attribution      de l'invention..

C'est ce qui a été reconnu par une jurisprudence constante.

  1. Il y a donc là une contradiction fondamentale. Un vice évident pour tout      analyste attentif, infectant le raisonnement logique, et qui néanmoins et      de façon incroyable, a manifestement échappé à toutes les juridictions !
  2. D'autant que les rapports des      experts judiciaires, conformément à la mission qui leur est assignée par      les juges du fond, analysent habituellement les CA d'exploitation      postérieurs à l'attribution et généralement tout ce qui est postérieur à      l'attribution de l'invention (sinon leurs rapports ne serviraient quasiment      à rien).Rapports d’expertise dont en pratique les      tribunaux tiennent plus ou moins compte alors même qu'ils ont rappelé le      principe de la fixation du juste prix au jour de l'attribution ! ...Ce qui est, reconnaissons      le, assez incohérent.
  3. C'est ce qui s'est passé par      exemple au niveau des deux juridictions du fond (TGI de Marseille et CA      Aix en Provence) dans le litige AUDIBERT      c/ ARCELOR MITTAL sans que les juges du fond aient paru s'en rendre      compte...
  4. Dans son arrêt du 9 juillet 2013 la Chambre commerciale de la Cour      suprême se prononce pour la 1ère fois sur ce problème en reconnaissant qu'il peut être fondé et légitime de tenir      compte pour la fixation du juste prix des faits d'exploitation      industrielle et des bilans comptables d'exploitation postérieurs à la date      d'attribution de l'invention .
  5. L’auteur de ces lignes plaidait depuis plus de 10 ans  dans ses      écrits pour une telle décision !
  6. Décision      juste en droit et équilibrée entre les deux parties, qui permet, enfin, de      satisfaire à l'exigence légale de prise en considération de l'utilité      commerciale réelle de l'invention énoncée à l'article L. 611-7 du CPI, et      ce sans que cela avantage a      priori l’employeur ou l’inventeur salarié.

Il s'agit d'un grand pas en avant, donnant toute son importance à cet arrêt, qui doit faire jurisprudence.

 

Si la société ARCELOR MITTAL avait réellement dû se baser sur ses propres prévisions d'exploitation industrielle à la date de l'attribution en 1991, lesquelles portaient sur le traitement de 40 000 tonnes de boues par an alors qu'en réalité seulement 128 375 tonnes ont été traitées en 14 ans selon l'invention, soit une moyenne de 9 169 tonnes par an, elle aurait dû payer SELON SON PROPRE RAISONNEMENT un juste prix 4,36 fois supérieur à 320 000 euros HT !!!

Soit 1 363 200 euros HT !!

 

Chiffre considérable qui démontre l'absurdité de prétendre fixer le juste prix à la date d'attribution rétroactivement en faisant abstraction des CA de l'exploitation de l'invention connus, postérieurs à l'attribution de l'invention !

 

Il va de soi que les chiffres d'affaires d'exploitation peuvent influer dans un sens ou dans l'autre sur des prévisions initiales à la date de l'attribution , soit à la baisse au profit de l'employeur (d'un coefficient énorme de 4,36 !) comme dans l'affaire AUDIBERT c/ ARCELOR SOLLAC, soit à la hausse au profit de l'inventeur s'il s'avère que les perspectives d'exploitation lors de l'attribution étaient sous- évaluées par rapport à l'intérêt commercial réel au vu des Chiffres d'affaires d'exploitation commerciale de l'invention pendant x années d'exploitation...

Ce que l'auteur de ces lignes a répété inlassablement depuis une dizaine d’années... dans l'indifférence générale, les intervenants concernés faisant la sourde oreille car la cause des inventions de salariés « ne mobilise pas les masses » !... Les syndicats ouvriers et de cadres s’en f… éperdument (la France ne compte qu’un inventeur pour 1000 salariés du privé,1  inventeur pour 2500 fonctionnaires de sorte que leur poids électoral est nul)..

 

La Cour suprême, chambre commerciale nous a-t-elle enfin lu, entendu et compris ?

 Ne le semble-t- il pas ? Il s'agit d'une décision de jurisprudence qui revêt une grande importance pour les inventeurs auteurs d'inventions hors mission attribuables..

 

Le 13 août 2013

Jean-Paul Martin

Docteur en droit

 

BIBLIOGRAPHIE 

1)      http://jeanpaulmartin.canalblog.com/archives/2011/05/20/21184040.html

Extrait de cet article du 20/05/2011 :

<<Nos observations : Une fois de plus nous nous élevons contre ce qui semble dans la jurisprudence être devenu un dogme révélé d’en haut par une autorité supérieure et indiscutable, à savoir que le juste prix devrait être évalué rétrospectivement au jour de l’attribution de l’invention…c'est-à-dire au jour du dépôt de la première demande de brevet de priorité.

Même si entre cette date et la date du jugement (de l’arrêt) il s’est écoulé 5, 10 ou 18 ans et que dans l’intervalle l’invention a été commercialement exploitée et que l’on connaît en particulier par le rapport d’un Expert, son chiffre d’affaires, ses marges bénéficiaires, les profits globaux réalisés…

NON, NON et NON !

Nous renvoyons une fois de plus à notre étude sur la question :

http://jeanpaulmartin.canalblog.com/archives/inventions_hors_mission_attribuables__juste_prix/index.html

L’utilité industrielle et commerciale ne peut être valablement évaluée à la date d’attribution de l’invention : pour cela il faut une période d’exploitation commerciale et/ou industrielle, car cette « utilité » » ne peut être déterminée que sur la base de du chiffre d’affaires ou des profits engrangés par l’exploitation de l’invention; postérieure par définition à l’attribution de l’invention à l’employeur et qu’on ne peut prévoir à la date d’attribution de l’invention . Donc il faut un recul de plusieurs années, que l’on a justement, en général, à la date du jugement.>>

 

2)      Blog http://jeanpaulmartin.canalblog.com/archives/20  du 1er août 2010 (copie ci- dessous de l’article)

 

01 août 2010

Date d'évaluation du juste prix : date du jugement

DATE D’EVALUATION DU JUSTE PRIX D’UNE INVENTION HORS MISSION ATTRIBUABLE

Extrait du Code de la Propriété Intellectuelle Annoté de Me Yves Marcellin, Editions Cedat, 2002, page 95

<21. L’appréciation du juste prix doit être faite au moment où se produit l’attribution de l’invention à l’employeur par la levée de l’option et en tenant compte, à cette date, des perspectives normalement espérées alors ainsi que de la part du salarié dans la conception de l’invention et de la participation de l’entreprise pour la fourniture des moyens nécessaires à sa réalisation pratique:

- Paris, 4è Ch., 17 oct. 1989 (P.I.B.D. 1990, n° 472, III-94) ;

- TGI Paris, 3è Ch., 31 oct. 1991 (P.I.B.D. 1992, n° 516, III-109)>>

Commentaires :

Certaines décisions reprennent ce passage et/ou appliquent religieusement cette solution comme s’il s’agissait du texte de la loi elle- même, d’une vérité révélée qui ne se discute pas ; et en en concluant, de façon erronée, que c’est obligatoirement à la date de la levée de l’option – généralement la date de dépôt de la demande de brevet – que le juste prix doit être évalué en se plaçant rétroactivement à cette date. Exceptionnellement et de façon erratique les juges du fond se placent à la date de cessation du contrat de travail du salarié (TGI Bordeaux LABRADOR c/ Pierre FABRE Médicament du 13/01/2009, confirmé par CA Bordeaux du 10/06/2010 - inédit. Ces décisions, critiquables, ont retenu comme date de levée de l'option et donc de l'évaluation du montant du juste prix la date de cessation du contrat de travail du salarié- inventeur, postérieure de 17 mois à la date de dépôt de la demande de brevet.

Cette interprétation de la loi (art. L 611-7 2° du Code la PI) fait abstraction de toutes les données relatives à l’exploitation de l’invention postérieurement à la date de levée de l’option, qui ont pu être rassemblées par l’expert dans le cadre de la mission qui lui a été confiée par la juridiction du fond (chiffre d’affaire d’exploitation commerciale de l’invention, bénéfices réalisés sur une période donnée de plusieurs années et avec éventuellement extrapolation sur les années consécutives à la date du rapport d’expertise).

Dès lors on se demande à quoi peut bien servir cette expertise si le juge doit en faire entièrement abstraction pour se reporter mentalement 5, 10 ou 20 ans en arrière ( !). Et imaginer alors rétroactivement et fictivement « les perspectives normalement espérées à cette date » par l’entreprise !!

Exercice intellectuel aléatoire et absurde puisque le juge du fond dispose par le rapport d’expertise des données comptables relatives à l’étendue de l’exploitation postérieure à la levée de l’option, qui lui permettent d’apprécier l’intérêt commercial de l’invention et son étendue.

De nombreuses décisions de jurisprudence ont confirmé que l’intérêt commercial de l’invention, base de l’évaluation du juste prix, ne peut être évalué qu'à partir du chiffre d’affaires d’exploitation commerciale de l’invention, donc par définition sur une période d’exploitation obligatoirement postérieure à la date de levée de l’option.

Ainsi que Me Yves MARCELLIN l’a confirmé à l’auteur de la présente Note, le passage ci-dessus du Code annoté de 2002 signifie seulement que c’est ainsi que les deux décisions citées, anciennes (1989 et 1991) se sont prononcées ! Sans faire valoir aucun argument pertinent en ce sens.

D’autres décisions, récentes et plus réalistes, se sont prononcées en évaluant le juste prix à la date du jugement ; par exemple TGI Marseille Francis AUDIBERT c/ ARCELOR MITTAL du 6 décembre 2009.

Jean-Paul Martin

Le 2/08/2010

 3) « Droit des Inventions de salariés » par Jean-Paul MARTIN, ancien conseil en propriété industrielle, docteur en droit,  Editions LexisNexis, Litec, octobre 2005, 3ème édition ; la nécessité de prendre en compte pour la fixation du juste prix des éléments comptables (CA, marges bénéficiaires…) d’exploitation de l’invention attribuable postérieurs à la date d’attribution est longuement plaidée  de la page 73 § 215 à la page 76 § 226, en dépit d’une jurisprudence majoritaire en 2005 mais erronée, en faveur du contraire.

 

 

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