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Inventions de salariés et de dirigeants sociaux, procédure civile
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Inventions de salariés et de dirigeants sociaux, procédure civile
21 mars 2014

Arrêt scélérat CA de Paris DUSSOULIER c/ MPM du 21 février 2014

Décisions DUSSOULIER c/ MPM du TGI de Paris du 8/11/2012 et de la cour d’appel de Paris du 21 février 2014

Commentaires :Seconde Partie

(Première Partie http://www.jeanpaulmartin.canalblog.com du 8 mars 2014)

Inventions attribuables- refus absolu de l’employeur de toute discussion et de toute rémunération d’invention de salarié – interdiction de demander une rémunération supplémentaire d’invention ou un juste prix sous peine de licenciement immédiat – montant créance justes prix indéterminé - action en paiement des justes prix après licenciement - prescription décennale du Code du commerce (oui) – loi du 17 juin 2008- point de départ prescription - date dépôt demandes de brevets (oui) -prescription décennale écoulée avant date assignation – action du salarié prescrite – salarié débouté (oui)

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I) Articulation du raisonnement de la cour d’appel de Paris

A) Choix de la prescription.applicable

a) Le salarié soutenait que la prescription applicable était la prescription trentenaire à compter des dates de dépôt des 4 demandes de brevets sur inventions attribuables, de 1997 à 1999.La loi n°561- 2008 du 17 juin 2008 ayant réduit cette prescription de droit commun à 5 ans, celle-ci expirait le 17 juin 2013. Or l’assignation du salarié datait du 1er juin 2011, de sorte qu’il n’était pas prescrit.

En regard de sa possibilité d’exercer son droit en assignant son employeur devant le TGI dans le délai de prescription et alors qu’il était encore salarié de la Sté MPM, il faisait valoir qu’il lui avait été impossible d’agir plus tôt dans ces conditions pour deux raisons :

aa) L’article 2234 du Code civil issu de la loi n°2008- 561 du 17 juin 2008 dispose que la prescription ne peut commencer à courir en cas de force majeure empêchant le salarié d’exercer son droit. Le salarié Philippe DUSSOULIER affirme que tant qu’il a été présent dans l’entreprise donc jusqu’à l’annonce par sa Direction de son licenciement début 2010, il s’est trouvé dans l’impossibilité d’agir en justice contre son employeur et comme rappelé par l'arrêt « du fait de la crainte de la réaction de son employeur qui n’aurait pas manqué de le licencier compte tenu  de sa position arrêtée en la matière… »

En effet MPM avait fait depuis longtemps savoir aux chercheurs- inventeurs qu’elle se refusait catégoriquement à leur verser toute rémunération supplémentaire ou juste  prix d’invention, et que tout inventeur qui oserait lui demander sa rémunération supplémentaire ou son juste prix serait immédiatement licencié.Pareille requête aurait donc entraîné le licenciement immédiat du salarié, comme cela a du reste été le cas dans une autre  usine du Groupe Etienne LACROIX pour Jean BARICOS, malgré sa position hiérarchique de Directeur d'usine (CA Toulouse 16 mars 2010). 

bb) la seconde raison était que le montant de la créance de justes prix était indéterminé et indéterminable par le salarié.

En 1ère instance le TGI avait estimé (page 6 du jugement du 10/11/2012) que le salarié avait été en mesure de déterminer sa créance de justes prix pour ses 5 inventions à partir de sa nomination au 1er janvier 1999 comme directeur opérationnel de MPM -et  était donc en capacité d'agir pour exercer son droit.

Appréciation qu’il n’est pas possible d’approuver et que du reste la cour d’appel n’a pas reprise, reconnaissant ainsi implicitement qu'elle est erronée.

En effet à partir de cette date, il n’est pas pour autant prouvé qu’il pouvait connaître la totalité de l’étendue de l’exploitation commerciale des inventions ; en outre pour déterminer un juste prix, le salarié doit conformément à l’article L. 611-7, 2° du Code de la Pi négocier un Accord avec l’employeur. Il faut donc être deux pour déterminer le montant de la créance de justes prix dus au salarié- inventeur. Le salarié ne peut le fixer ou le déterminer à lui seul. Comme l'employeur avait fait connaître son refus de principe de toute discussion avec ses inventeurs salariés, le juste prix était indéterminé et indéterminable.

Corrélativement, comme le relève pertinemment Francis AHNER co-auteur de l'ouvrage "Créations et inventions des salariés" 2ème édition LAMY, juillet 2013 page 187 § 243,"la "non liquidité" de la créance faute d'être déterminable fait obstacle à son exigibilité."

Ce qui explique que le salarié Philippe DUSSOULIER n'était pas en capacité d'agir pour exercer son droit tant qu'il était présent dans l'entreprise MPM.

La cour d'appel de Paris n'a pas tiré la conséquence de ses propres conclusions.

Conformément à l’arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation APG c/ Scrémin du 22 février 2005 qui a fait jurisprudence et a été solennellement réitéré avec force par l’arrêt de la Chambre commerciale de la Cour suprême en formation élargie de 15 magistrats MOUZIN c/ Pierre FABRE Médicament du 10 juin 2012, la prescription n’avait  pu commencer à courir à la date de l’assignation de Philippe DUSSOULIER le 1er juin 2011.

Admettre le contraire équivaudrait à vider de toute portée l’article 2234 du Code civil et à violer la  règle jurisprudentielle claire et catégorique établie par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, qui s’impose à la cour d’appel de Paris.

b) MPM soutenait l’irrecevabilité au motif que selon elle l’attribution des inventions était un acte de commerce mixte entre un commerçant (l’employeur) et un non commerçant (le salarié-inventeur). La prescription applicable devait donc être décennale, celle du Code du commerce, article L.110-4.

c) D’emblée et sans prendre la peine de tenter de réfuter - comme les juges en ont pourtant l’obligation afin de motiver leur décision - les arguments du salarié DUSSOULIER ni à ceux de l’Avis d’un expert- consultant versé aux débats par le salarié , les juges du fond emboîtent le pas à la thèse de MPM (page 5 de l’arrêt) ; en décrétant que l’exercice du droit d’attribution à l’employeur de l’invention attribuable d’un salarié est un acte mixte entre une personne morale commerçante et une personne physique non- commerçante, et doit donc soumise à la prescription décennale du Code du commerce antérieure à la loi du 17/06/2008..

B) Point de départ de la prescription choisie par les juges du fond

MPM soutient que le point de départ doit être la date à laquelle l’employeur exerce son droit d’attribution, soit la date du dépôt de la demande de brevet par l’employeur.

Naturellement le choix de cette date parmi d’autres envisageables n’est pas innocent. Il a été choisi parmi d’autres pour la simple raison que le délai de 10 années partant de cette date de dépôt expire avant le 1er juin 2010, date de l’assignation par le salarié…qui est donc forclos, et son action prescrite.

Ainsi avant d’être licencié le salarié ne pouvait pas assigner son employeur pour réclamer les justes prix dus, sous peine d’être licencié sur-le-champ…qui l’aurait fait à sa place ? Après son licenciement, le temps de préparer son dossier, de trouver un avocat et d’assigner son ex- employeur sans perdre de temps, le salarié assigne au 1er juin 2011.

Néanmoins le TGI puis la cour d’appel de Paris déclarent son action prescrite car selon eux il n'y avait pas de "force majeure" au sens de l’article 2234 nouveau du Code civil, empêchant le salarié d'exercer son droit tout en restant dans l'entreprise (...pour en être licencié 24 h après !)… Donnant ainsi raison à l’employeur qui a commis la faute originelle du litige en violant la loi, en refusant toute discussion avec le salarié- inventeur et même en menaçant de licenciement immédiat ceux qui auraient l’audace de demander leur rémunération légalement due !!!

Le monde renversé... Une décision incompréhensible.

Les juges de première instance et d’appel de Paris, seules juridictions compétentes en France pour ce genre de litige, encouragent donc maintenant les entreprises à violer la loi sur les brevets en refusant toute rémunération d’invention aux inventeurs salariés ?

Les trois juges de la cour d’appel et ceux du TGI sont-ils conscients  du caractère inique de leur décision ?

II) Discussion

A ) L’attribution d’une invention attribuable d’un salarié à son employeur est-elle un acte mixte, justifiant le recours à la prescription commerciale du Code du commerce ??

Evidemment non !

Un acte mixte est celui qui concerne un commerçant par exemple dans un magasin personne morale et un acheteur personne physique, qui a un litige à propos d’un achat, d’une commande … passée d’une façon quelconque, y compris par Internet. Pas l’attribution d’une invention de salarié à son employeur !!!

Les relations salarié- employeur ne sont pas celles d’un client personne physique acheteur d’un produit avec un commerçant – vendeur. Rien à voir.

« En mission ou hors mission il s'agit toujours d’un salarié et les relations ne sont pas commerciales mais salariales ; il n'y a pas un vendeur et un acheteur mais un employeur et un salarié ;le classement de l'invention ne change rien aux relations qui ne sont pas commerciales./La cession des droits sur le brevet n'est pas la vente d'une marchandise. La prescription commerciale est illégitime mais hélas les juges ne comprennent pas toujours !!!>> Henri COUSSE, docteur ès sciences, vice- président de l’AIS.-

Est-il besoin de souligner qu'employeur et salariés ne sont pas dans une relation de vendeur- commerçant d’un produit fabriqué ou distribué par l’entreprise à un acheteur personne physique ?

Ils ont des relations de salarié receveur d’ouvrage (en allemand « Arbeitnehmer)» à employeur- donneur d’ouvrage (en allemand « Arbeitgeber ») déterminées par le Code du Travail et par un contrat de travail, plaçant le salarié dans une situation de subordination vis-à-vis de son employeur.

Cela n’a rien à voir avec le Code du Commerce . Si le salarié est l’auteur d’une invention, attribuable ou de mission, le Code de la Propriété intellectuelle s’applique.

Si le Code de la PI ne permet pas de résoudre le problème posé, il est constant que la jurisprudence a toujours, sauf exception, eu recours au Code civil, et non au Code du Commerce.

B) La prescription décennale du Code du commerce est-elle défendable au vu de la jurisprudence antérieure ?

Dans la jurisprudence on ne connaît que deux décisions ayant admis la prescription décennale du Code du Commerce pour un litige sur inventions de salariés :

  • TGI de Paris du 16 mars 2005 VILA c/ L’OREAL, jugement rendu définitif par une transaction amiable. Ce qui en réduit la portée puisque la question de la prescription applicable n’a pas pu être discutée en appel.
  • CA de Toulouse du 16 mars 2010 COUSSE c/ Pierre FABRE Médicament : cet arrêt a été frappé d’un pourvoi en cassation (C. cass. com. 20 septembre 2011 qui l’a partiellement cassé et a été suivi d’un arrêt de renvoi en date du 6 décembre 2013 de la Cour d’appel de Paris Pôle 5 chambre 2 : Marie-Christine AIMAR présidente, Sylvie NEROT, Anne-Marie BELLOT

Dans ce litige COUSSE c/ PFM le TGI de Toulouse par son jugement de 1ère instance du 30 novembre 2007 avait à juste titre écarté la prescription décennale du Code du Commerce « au motif que l’article 110-4 régit les créances nées entre commerçants et non commerçants à l’occasion d’actes de commerce, ce qui n’est pas le cas en l’espère » avait jugé le Tribunal.

La cour de Toulouse poursuit : « Il a implicitement jugé qu’à défaut d’application des articles 2277 du Code civil et L. 110-4 du Code du commerce, la prescription redevenait celle du droit commun de trente ans.

Cependant les conditions d’application de l’article L.110-4 du de commerce sont réunies en l’espère : il s’agit de l’obligation légale de sociétés commerciales à l’égard d’un non- commerçant, obligation née à l’occasion de leur commerce. Peu importe qu’elle résulte de la réglementation du Code du Travail dès lors que cette source d’obligations n’est pas exclue du domaine d’application de l’article L.110-4 du Code du commerce (Soc. 9.07.2008 B n° 157). »

Cette prise de position est éminemment critiquable car fantaisiste. On ne peut en effet sérieusement soutenir que l’attribution d’une invention d’un salarié à son employeur est un « acte de commerce » ! Très fréquemment l’employeur refuse tout Accord écrit avec le salarié auteur de l’invention attribuable et tout paiement de juste prix…comme dans l’affaire DUSSOULIER c/ MPM, les affaires COUSSE c/ Pierre FABRE Médicament, LABRADOR c/ Pierre FABRE Médicament, BARICOS c/ SA Etienne LACROIX etc…

En regard de tous ces litiges sur des inventions attribuables, en 30 ans nous n’avons connaissance que d’un seul Accord écrit sur une invention de cette catégorie, qui s’est soldé par un litige judiciaire interminable et donc par un échec (décisions Christian FERRAND c/ France Telecom).

Les Accords de juste prix illusoires ?

Ne faut-il pas alors en conclure que ce type d’Accord prévu par la loi du 13 juillet 1978 article 1ter, L. 611-7 du CPI, 2° pour être négocié entre un employeur et le salarié- inventeur est en définitive utopique ?

Et ce en raison de la « position d’infériorité du salarié, dans un lien de subordination » [vis-à-vis de son employeur] comme le fait observer Francis AHNER. « cf. Ouvrage « Inventions et Créations de salariés » par Francis AHNER, 2ème édition, juillet 2013 Editions LAMY, page 149, § 191).

Cet auteur se déclare surpris que le législateur ait pu imaginer qu’une négociation réelle serait possible entre deux parties aussi inégales, liées par un rapport de domination écrasante de l’employeur sur le salarié. L’employeur a un pouvoir de monarque absolu sur le salarié ; de le promouvoir, de lui pourrir la vie… celui de le licencier ce qui équivaut souvent à une peine de mort sociale et économique.

En tout cas l’argument en faveur de la prescription commerciale que l’on peut tirer de la jurisprudence se résume aux deux décisions connues de portée contestable ci-dessus, l’une de 1ère instance, l’autre mal motivée de la cour d’appel de Toulouse- qui a perdu toute compétence sur les litiges de brevets d’invention au profit de la cour d’appel de Paris (Décret d’octobre 2009).

Jamais la Cour suprême n’a reconnu le bien-fondé de la prescription décennale du Code de commerce pour des litiges brevets entre inventeurs et employeurs.

C) ) La jurisprudence antérieure pour les actions en paiement de rémunération supplémentaire d’invention et de justes prix d’inventions attribuables

a) Inventions de mission

Antérieurement à la loi n°2008- 561 du 17 juin 2008, la prescription pour l’action en paiement de rémunérations supplémentaire d’invention de mission était la prescription quinquennale.

Avant 2002 et jusqu’à la jurisprudence APG c/ Scrémin CA Lyon du 10/11/2002, validé par Cour cass. com. 22 février 2005 - le point de départ de cette prescription quinquennale était la date à laquelle le salarié – inventeur avait été informé du fait que l’invention était ou avait commencé à être exploitée commercialement/industriellement. Même si en général il ne connaissait pas l’étendue de cette exploitation : chiffres d’affaites, marges bénéficiaires, différents marchés…ni ne disposait d’une mode de calcul officiel, reconnu par l’employeur.

b) Inventions hors mission attribuables

Pour les inventions hors mission attribuables, jusqu’à la loi du 17 juin 2008 la prescription reconnue par la jurisprudence était celle de droit commun du Code civil (article 2254) c'est-à-dire la prescription trentenaire, et son point de départ la date de dépôt de la demande de brevet.

C’est également ce qu’indique Francis AHNER (op. cité supra, page 189, § 246) qui ajoute

« Le caractère indéterminé du juste prix peut faire obstacle à ce que la prescription coure ».

Exemples :

  • CA Paris, COGNOLATO c/ Saint GOBAIN, 9 juin 2004, PIBD 2004, 793,III,504
  • · CA Bordeaux LABRADOR c/ PIERRE FABRE Médicament, 10/06/2010(le brevet Labrador a été déposé en juin 1991 et l’assignation de l’inventeur J. LABRADOR date de juin 2005 soit 14 ans après le dépôt du brevet).
  • · CA Toulouse BARICOS c/ SA Etienne LACROIX , 16 mai 2010

c) Prescription de droit commun applicable au litige DUSSOULIER et non la prescription commerciale

C’est la prescription de droit commun qui est appliquée pour un inventeur indépendant personne physique qui cède son brevet à une entreprise (et non la prescription du Code du commerce !!). Or fiscalement et socialement, le salarié auteur d’une invention attribuable est assimilé à un inventeur indépendant. Il doit donc bénéficier dju même régime en matière de prescription.

Dans l’affaire DUSSOULIER, les brevets ont été déposés de 1997 à 1999 donc avant la loi du 17 juin 2008, mais l’assignation est postérieure à la loi du 17 /06/2008.

Selon la jurisprudence dominante exposée ci-dessus , la prescription applicable était la prescription de droit commun : 30 ans avant 2008, 5 ans au maximum à compter du 17/06/2008.

Le point de départ étant la date de dépôt des demandes de brevets. Mais toutes ces prescriptions expirant à la date – limite du 17 juin 2013.

L’assignation de l’inventeur DUSSOULIER datant du 1er juin 2010, son action était donc recevable.

La décision de la cour d’appel de Paris est donc erronée en droit déjà pour ce motif.

d) L’arrêt CA Paris DUSSOULIER méconnaît l’arrêt Scrémin c/APG de la Cour suprême, chambre commerciale du 22 février 2005

Cet important arrêt qui a fait jurisprudence a décidé que dans une action en paiement de rémunération d’invention de mission de salarié la prescription quinquennale ne peut courir du fait que le montant de la créance du salarié est indéterminé et fait l’objet même du litige.

Il n’y a donc plus de prescription tant que le montant de la créance / de l’inventeur reste indéterminée - ou indéterminable.

Il s’agissait d’invention de mission mais la problématique est la même pour des inventions hors mission attribuables. De sorte que cet arrêt s’applique aussi aux inventions attribuables. C’est du reste également l’avis de Francis AHNER (*), qui écrit (op.cité, page 189, § 246)

« le caractère indéterminé du juste prix peut faire obstacle à ce que la prescription coure. »

La cour d’appel de Paris n’a pas tenu compte de cet arrêt essentiel de la jurisprudence, dont une Réponse ministérielle du 18 avril 2006 (JOAN, 18 avril 2006, p.4234) a souligné qu’il constitue un tournant de la jurisprudence, disant le droit en ayant la prééminence sur la décision Cour cass. Soc. Du 5 mai 2004 dans l’affaire X… c/ SOLETANCHE. (V. Francis AHNER, op.cité page 184).

Arrêt APG qui imposait, en droit, à la cour d’appel de Paris, Pôle 5 chambre 2, de décider dans l’affaire DUSSOULIER que la prescription, de droit commun ou décennale, ne pouvait courir du fait que le montant du juste prix était indéterminé et faisait l’objet du litige.

(*) dont l’opuscule cité a une orientation largement défavorable aux inventeurs salariés

e) Selon la jurisprudence, la prescription ne court pas en cas de refus de discussion de l’employeur avec le salarié- inventeur sur la rémunération supplémentaire ou sur la détermination du juste prix.

"Contra valentem agere non currit praescriptio" = "la prescription ne peut courir contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir"

En effet dans ce cas le montant de la rémunération supplémentaire ou du juste prix est indéterminé, de sorte que la prescription qu’elle soit de droit commun, salariale ou commerciale, ne peut commencer à courir :

  • · Cour cass. com. 22 février 2005 Sté APG c/ Scrémin
  • · Cour cass.com. , 10 juin 2012 MOUZIN c/ PIERRE FABRE Médicament
  • · TGI Paris 25 avril 2007 COMAU c/ THURIER
  • · CA Douai, 15 décembre 2009, BUJADOUX c/ POLIMERI
  • · CA TOULOUSE 19 mai 2010 BARICOS c/ SAienne LACROIX
  • · CA paris 18 avril 2004 MEYBECK c/ LVMH & Christian DIOR
  • · CA Paris 13 mai 2005 RAY c/ RHODIA

Voir aussi doctrine :"L'incidence de la loi du 17 juin 1008 portant réforme de la prescription en matière civile sur la situation des inventeurs salariés" par Jean-Paul MARTIN, Me Michel ABELLO, avocat à la Cour et Nicolas REDON, Revue LAMY Droit des Affaires, n°44 Décembre 2009

III) Récapitulatif des critiques de l’arrêt CA Paris (Pôle 5 chambre 2) du 21 février 2014

1) La prescription applicable n’est pas la prescription commerciale du Code de commerce article L.110-4 mais la prescription de droit commun trentenaire du Code civil, réduite par la loi du 17 juin 2008 ; Car l’attribution d’une invention mixte n’est évidemment pas un acte de commerce.

2) La cour d’appel de Paris a méconnu l’arrêt de la Cour de cassation Scrémin c/ APG du 22 février 2005, confirmé par l’arrêt MOUZIN c/ Pierre FABRE Médicament de la Chambre commerciale en chambre élargie à 15 magistrats du 12 juin 2012 ; selon lesquels la prescription ne peut courir tant que le montant de la créance est indéterminé car il fait l’objet même du litige.

Cet arrêt qui a fait jurisprudence imposait à la cour d’appel de juger que la prescription n’avait pas commencé à courir à la date de l’assignation de MPM le 1er juin 2010 par Philippe DUSSOULIER.

Il s’agit à notre avis d’un motif pouvant justifier un pourvoi en cassation.

3) Second motif pour lequel la prescription n’a pu commencer à courir à la date de dépôt des demandes de brevets : le refus de toute discussion de l’employeur avec son salarié DUSSOULIER, ses menaces de licenciement immédiat constituent un empêchement de force majeure, empêchant le salarié d’exercer son droit au sens de l’article 2234 du Code civil.

De sorte que la prescription n’a pu commencer à courir et que la demande de Philippe DUSSOULIER est recevable..

Le refus d’admettre cette évidence par les juges de la cour d’appel vide scandaleusement de toute portée l'article nouveau 2234 du Code civil. En outre, il encourage des employeurs à se mettre hors la loi et les en récompense ! Il est de nature à les inciter à utiliser ces méthodes de cow-boys afin d’empêcher les inventeurs salariés de bénéficier de leurs droits légaux..avec le soutien de la Justice parisienne !  La recherche et l’innovation déjà en berne en France, en feront les frais…tant pis pour l’économie nationale, du moment que ce type de décision réjouit les employeurs les plus ringards. Par ce genre de décision suicidaire qu’ils applaudissent, ils resserrent sans même en avoir conscience le nœud coulant qui va les étrangler…

Attitude incompréhensible, honteuse de la part de la Justice, qui consciemment ou non, se fait complice d’une entreprise de démantèlement du système d’innovation industrielle de la France.

La loi ici concrétisée par l’article 2234 du Code civil vidé de sa portée n’a pas été correctement appliquée : ne s’agit-il pas d’un second motif de pourvoi en cassation possible ?.

Loi n°2008- 561 du 17 juin 2008 article 1

Article 2234 du Code civil

« La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure. »

4) La cour d’appel a considéré (page 6, 5ème paragraphe de l’arrêt) que :

« la prescription de l’action en paiement de juste prix commence à courir à partir de la date de dépôt par l’employeur d’une demande de brevet sans qu’il y ait lieu, dans cette hypothèse, de prendre en considération le moment ou le créancier est en mesure de déterminer sa créance, la créance du juste prix qui naît de l’attribution de l’invention à l’employeur étant déterminée, conformément aux dispositions de l’article L. 611-7-II du code de al propriété intellectuelle, en considération de tous les éléments qui pourront être fournis notamment par l’employeur et le salarié, tant en fonction des apports initiaux de l’une et de l’autre que de l’utilité industrielle et commerciale de l’invention ; »

Ce considérant révèle une méconnaissance navrante de la part des juges du fond non seulement des conditions concrètes dans lesquelles se déroulent les problèmes liés à la détermination du juste prix, mais de la jurisprudence, essentielle, de la Cour de cassation, chambre commerciale, qui lui interdisait de juger de la sorte.

Contrairement à ce qu’écrit la cour d’appel décidément bien mal inspirée, il y a bien lieu de prendre en considération le moment où le créancier est en mesure de déterminer sa créance ! Et dans le cas d’un juste prix, il lui est impossible de le déterminer sans l’accord de l’employeur, puisque la loi (L.611-7-2° du CPI) impose aux deux parties de définir le juste prix par un Accord écrit négocié.

Ce que les juges du fond semblent ignorer..

Rappelons encore une fois les arrêts- clés de la jurisprudence de la Cour suprême :

-Cour de cassation, chambre commerciale, 22 février 2005, Scrémin c/ Sté APG

-Cour de cassation, chambre commerciale en session solennelle élargie à 15 membres le 12 juin 2012 MOUZIN c/ PIERRE FABRE MEDICAMENT. http://jeanpaulmartin.canalblog.com/archives/2012/06/29/24605086.html

Un tel dysfonctionnement au niveau de la cour d’appel de Paris, est d’autant plus déplorable, dommageable pour la cause de la recherche et de l’innovation, que depuis octobre 2009 ladite cour d’appel possède une compétence exclusive pour les litiges inventeurs salariés/ employeurs. Une telle erreur est donc de nature à discréditer la Justice.

 

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