Faut-il totalement repenser le CIR pour réduire ses gaspillages en temps de récession quand les caisses de l'Etat sont vides ?
LE CIR : LES CHIFFRES CLES POUR SA DISTRIBUTION
FAUT- IL LE REFORMER COMPLETEMENT ?
- Modifié par LOI n° 2014-1545 du 20 décembre 2014 - art. 53 (V)
- Modifié par LOI n°2014-1654 du 29 décembre 2014 - art. 66
- Modifié par LOI n°2014-1654 du 29 décembre 2014 - art. 75
I. - Les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d'après leur bénéfice réel ou exonérées en application des articles 44 sexies, 44 sexies A, 44 septies, 44 octies, 44 octies A, 44 duodecies, 44 terdecies à 44 quindecies peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année. Le taux du crédit d'impôt est de 30 % pour la fraction des dépenses de recherche inférieure ou égale à 100 millions d'euros et de 5 % pour la fraction des dépenses de recherche supérieure à ce montant. Le premier de ces deux taux est porté à 50 % pour les dépenses de recherche exposées à compter du 1er janvier 2015 dans des exploitations situées dans un département d'outre-mer. Pour les dépenses mentionnées au k du II, le taux du crédit d'impôt est de 20 %. Ce taux est porté à 40 % pour les dépenses mentionnées au même k exposées, à compter du 1er janvier 2015, dans des exploitations situées dans un département d'outre-mer.
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Le Rapport du MESR (Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche) publié en septembre 2014 à l’adresse Internet ci-dessous
est le plus récent. Il dresse un bilan de la dernière année exhaustivement connue, l’année 2012.
Pour 2014, on sait que globalement le montant distribué au titre du CIR à près de 20 000 entreprises a été de 6,2 Mds€.
Nous en extrayons les données et bilans suivants :
En 2012 le montant total des dépenses déclarées et éligibles a été de 19,2 Mds€, générant un CIR de 5,3 Mds€ soit 27,60% en moyenne. Résultat de la combinaison de taux à 30% pour les déclarants moins de 100 M€ de dépenses de recherches dans l’année, et du taux de 5% pour les déclarants de plus de 100 M€. Ces derniers étant au nombre de 23 tandis que le nombre total des déclarants a été de 20 441.
Le nombre des bénéficiaires a été de 15 281.
Explication : c’est la maison- mère des groupes fiscalement intégrés qui reçoit les CIR pour ses filiales. C’est le cas de 2 900 groupes ETI intégrés (ETI = entreprises de taille intermédiaire entre PME et GE), dont la taille est très variable.
Observations :
A) Compte tenu de l’explication ci-dessus, il y a autant de bénéficiaires que de déclarants ! N’est ce pas surprenant ?
Les dossiers de demande de CIR font- il l’objet d’un véritable examen ? Si oui cela implique qu’il y ait in fine des reçus et des recalés, comme dans tout examen digne de ce nom (ex. le baccalauréat, les examens universitaires… Sinon, comme il semblerait d’après les chiffres précités, ce n’est plus un examen mais un simple enregistrement administratif valant accord du CIR après seulement une vérification formelle.
En d’autres termes, le CIR est- il un droit de toute entreprise qui en fait la demande dès lors qu’elle présente des activités ou projets ?
Pour élucider la question, il faudrait savoir s’il y a bien, ou non, des recalés parmi les demandeurs, et dans l’affirmative pour quels motifs. Donc entamer l’opacité qui règne sur le CIR depuis sa création.
Il faut observer que cette quasi- totale opacité est contraire à la transparence des dossiers d’examen des demandes de brevets d’invention, qui sont entièrement ouverts au public dans les Offices de brevets, nationaux (INPI à Paris, Deutsches Patentamt à Munich,, USPTO de Washington, Japanese Patent Office……) et internationaux (OEB, OMPI..).
Partout dans le monde ces dossiers d’examen sont accessibles aux tiers, qui peuvent en obtenir des copies complètes. Cette transparence vis-à-vis des tiers et l’accessibilité des dossiers d’examen garantissent l’absence d’abus ou de fraudes dans les examens préalables à la délivrance des brevets d’invention.
En revanche le secret total qui règne sur les examens des demandes de CIR et sur leur contenu laisse bien évidemment grande ouverte une porte à deux battants aux possibilités d’abus, de décisions erronées prises par des experts à compétence incertaine, sans de plus que les tiers aient connaissance des règles appliquées.
Et sans recours possible en cas de désaccord entre les parties ou de décision des experts contestée.
Evolution du CIR de 2003 à 2014
En 2003 : 0,423 Mds€
En 2012 : 5, 333 Mds€
En 2014 : 6,2 Mds€
Soit une croissance exponentielle par 12,60 en 9 ans et par14,2 en 11 ans !….
B) Distribution des bénéficiaires des dépenses déclarées et du CIR par taille d’entreprise en 2012
PME Nombre d’entreprises
< 250 salariés : 13 578 = 88,9% des bénéficiaires
CIR distribué = 1 675 M€ soit 31,4% du total CIR distribué
Entreprises > 250
250 à 5000 salariés : 1 230 = 33,8% du CIR = 1 803 M€ CIR
- 5 000 : 96 = 34,3% = 1 828 M€
Non renseignés : 377 = 0,5% = 26 M€
TOTAL = 1 703 = 68,6% = 3 657 M€
13 578 PME de moins de 250 salariés soit 88,9% des bénéficiaires perçoivent 31,4% du CIR total distribué en 2012.
1 326 ME et GE de + de 250 salariés dont 96 de + de 5000 salariés perçoivent 68,1 % - plus des 2/3 - du CIR total soit 3 657 M€
- Retenons que sur un total de 15 281 entreprises bénéficiaires du CIR en 2012, 96 entreprises de plus de 5000 salariés (GE) ont capté à elles seules 1 828 M€ soit 34,3% du total du CIR
Les grandes entreprises, moins de 100 sur environ 15 300, dont 23 déclarent plus de 100 M€ de dépenses de recherche par an et à ce titre n’ont droit qu’à 5% (et non 30% ) des dépenses déclarées , captent néanmoins plus des deux tiers du montant du CIR.
Les Grandes Entreprises ont- elles réellement besoin du CIR pour conduire leurs recherches et développement ?
Les grandes entreprises bénéficient déjà, fréquemment, d’aides financières de l’Etat voire des collectivités locales, afin de réduire le coût de leurs recherches et leurs frais de brevets. Voire des aides massives leur évitant dépôt de bilan et faillite.
Par exemple quand en 2008 un groupe automobile a connu de graves difficultés qui l’ont amené à supprimer 8000 emplois salariés et à fermer une grande usine ultra- moderne, l’Etat a avancé plusieurs milliards d’euros pour qu’il ne dépose pas son bilan.
En matière de frais de Propriété industrielle, à savoir de Brevets, les entreprises et leurs syndicats patronaux ont obtenu du Gouvernement, à force de lobbying pendant des années, une modification profonde du Protocole de Londres qui leur a supprimé 80% de leurs frais de traduction des brevets européens, dont se plaignaient de longue date comme excessifs les déposants de brevets européens.
Autre exemple fameux : il y a 25 ans l’Etat a englouti 150 Milliards de Francs dans le "scandale du siècle" de la banque Crédit Lyonnais (dont l’Etat était un actionnaire majoritaire) pour lui éviter le dépôt de bilan, et ce aux frais du contribuable.
En 2008 également l’Etat et donc le contribuable a versé aux banques la somme astronomique de 40 Milliards d’Euros pour leur éviter la faillite…
Incidemment, en lisant les rapports officiels notamment du MESR sur la gestion du CIR, on apprend que les banques et assurances – tout comme le secteur des « services et conseils » - perçoivent 2% du montant annuel du CIR ! Soit pour 2012 0,02 x 5,33 = 0,1066 Mds€ ou 106,6 M€ !
Donc en plus de les renflouer à coups de dizaines de Mds€ en 2008, l’Etat attribue des CIR à ces mêmes banques !
On peut légitimement s’en étonner, car jusqu’à plus ample informé les banques et assurances ne sont pas des entreprises industrielles/commerciales, auxquelles est réservé par la loi (article 244 quater B du CGI) le bénéfice du CIR, ni ne disposent de centres de recherches et développement scientifiques/technologiques.
L’auteur de cette étude avait contacté il y a un certain temps des conseils spécialisés en gestion de CIR, et leur avait demandé des explications à ce sujet…Après avoir fait semblant de ne pas comprendre la question, les conseils en CIR en question ont refusé de répondre, de fournir la moindre information sur ce point délicat (les medias diraient selon la formule consacrée :« contactés, ils n’ont pas souhaité s’exprimer. Point-barre. »
A l'heure où les medias invoquent continuellement un manque d'argent dans les caisses de l'Etat et de la nécessité de réduire toutes les dépenses publiques, comment peut-on laisser s'opérer un détournement de 106, 6 M€ de CIR au profit de catégories de déclarants qui normalement n’y ont pas droit ?
En outre, les modèles mathématiques et logiciels de gestion financière conçus par des ingénieurs ou par des traders sont des constructions abstraites, légalement exclues en soi de la brevetabilité par la loi française sur les brevets et par la CBE (Convention sur le Brevet Européen).
- Secteurs industriels
- Conseils et assistance en informatique 633 M€ de CIR soit 11,9% du CIR
- Industrie automobile 344 M€ de CIR soit 6,5% du CIR
- Pharmacie, parfumerie, entretien 574 M€ soit 10,8% du CIR
Le secteur « conseils en assistance en informatique » perçoit davantage de CIR que l’industrie automobile et que la pharmacie/parfumerie (cosmétique) !
Constat qui laisse perplexe : comment est ce possible puisque les logiciels en soi ne sont pas brevetables…En- dehors d’inventions brevetables, de quels types d’innovations s’agit-il pour ce secteur de l’informatique ?
En quoi consiste ce secteur au juste ?
Où sont les centres de recherches de ces conseils et moyens d’assistance ? Et comment des conseils en informatique peuvent- ils avoir pour eux- mêmes – et non pour leurs clients, en sous- traitance – des « projets innovants de recherche et développement » ?
Actuellement ces questions restent sans réponse puisque les tiers n’ont pas accès aux dossiers CIR des entreprises et qu’on ignore sur quels critères exacts se basent les experts pour rendre leur verdict. Notamment, sans moyens matériels ni en personnel qualifiés (contrairement à l’OEB) comment peuvent- ils effectuer des recherches d’antériorités sur des projets de recherches aux caractéristiques plus ou moins floues, mal définies contrairement aux revendications de brevets, pour apprécier si ces projets sont nouveaux ou antériorisés par des publications ?
Si des recherches d’antériorités sérieuses ne peuvent pas être exécutées faute de moyens adaptés, ces « examens » pour l’accord du CIR n’ont aucune valeur et relèveraient alors de décisions plus arbitraires et superficielles que sérieuses..
En définitive le CIR soulève une foule de questions sans réponses… Il devrait pour le moins être recherché comment lever au maximum son opacité absolue pour les tiers, clarifier les critères d’appréciation technique des experts, de même que leurs compétences pour de tels types de diagnostics, l’appréciation de la nouveauté des projets scientifiques et techniques soumis en l’absence de moyens de recherches d’antériorités etc.. etc…
Bref, afin de réduire au maximum les inévitables gaspillages à grande échelle des deniers publics, l’amateurisme aussi, favorisé par le secret opaque, l’absence de contrôle sérieux, la délivrance de CIR à des déclarants qui n’en ont pas besoin ou qui ne sont pas éligibles d’après la loi elle- même compte tenu qu’ils ne sont pas des entreprises industrielles ou agricoles, ni des centres de recherches technologiques/scientifiques etc…, la conception et l’organisation mêmes du CIR devraient être entièrement remises à plat et repensées de A à Z.
Jean-Paul Martin
European Patent Attorney
Ancien CPI
Docteur en droit
Ancien vice-président CNCPI
Bibliographie
http://jeanpaulmartin.canalblog.com/archives/2015/05/04/32004701.html
http://jeanpaulmartin.canalblog.com/archives/2015/05/07/32016857.html
http://jeanpaulmartin.canalblog.com/archives/2015/05/14/32052831.html
http://jeanpaulmartin.canalblog.com/archives/2015/05/20/32088565.html
http://jeanpaulmartin.canalblog.com/archives/2015/05/20/32088716.html