Décision partiale et ridicule du TGI Paris, qui accorde une Rém. Suppl. de 0,0011 soit 1,1 pour 1000 des redevances nettes...
La décision ci-dessous a été rendue le 26 juin 2015. Nous ignorons si elle est frappée d'appel ou non.
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS
3ème chambre 3ème section
N° RG : 13/08458
N° MINUTE :
Assignation du :
14 Juin 2013
JUGEMENT
rendu le 26 Juin 2015
DEMANDEUR
Monsieur Jean DEREGNAUCOURT
11 boulevard Edgar Quinet
75014 PARIS
représenté par Me Philippe SCHMITT, avocat au barreau de PARIS,
vestiaire #A0677
DÉFENDERESSES
SAS PIERRE FABRE MEDICAMENT
45 Place Abel Gance
92100 BOULOGNE BILLANCOURT
S.A. PIERRE FABRE,
12 avenue Hoche
75008 PARIS
représentées par Me Jean-Luc SCHMERBER SCP BUGIS BALLIN
RENIER ALRAN PERES & SCP SCHMERBER, P179
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Arnaud DESGRANGES, Vice-Président
Carine GILLET, Vice-Président
Florence BUTIN,Vice-Président
assisté de Marie-Aline PIGNOLET, Greffier
DEBATS
A l'audience du 12 Mai 2015
tenue en audience publique
Expéditions
exécutoires c
délivrées le :
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Décision du 26 Juin 2015
3ème chambre 3ème section
N° RG : 13/08458
JUGEMENT
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort
Jean Derégnaucourt, docteur vétérinaire, salarié entre le 14 janvier 1998 et juillet 2003 du groupe Pierre Fabre, intervenant dans le secteur de la santé, du médicament et de la dermo-cosmétique, est le co-inventeur salarié de l'énantiomère dextrogyre du Milnacipran pour la préparation de médicament, qui a fait l'objet d'une demande de brevet FR 2851 163
déposée le 14 février 2003.
L'intérêt de la découverte réside dans la diminution des effets
secondaires de l'utilisation du Milnacipran comme médicament
antidépresseur, la molécule principale ayant fait l'objet d'un brevet
princeps n° 81.12312 déposé le 23 juin 1981.
Par actes des 14 et 17 juin 2013, Jean Deregnaucourt a fait assigner les sociétés Pierre Fabre Médicament et Pierre Fabre SA, pour obtenir le paiement d'une rémunération supplémentaire au titre de l'invention salariée.
Le juge de la mise en état a par ordonnance du 28 novembre 2014
ordonné à la société Pierre Fabre, la communication de documents.
Dans le dernier état de ses prétentions formées suivant conclusions du
29 avril 2015, notifiées par voie électronique, Jean Derégneaucourt
sollicite du tribunal de :
Vu l'article L611-7 du code de la propriété intellectuelle,
-constater qu'il se désiste de ses demandes contre la société Pierre
Fabre SA,
-condamner la société Pierre Fabre Médicament à lui payer la somme
de 3.554.282,61 euros majorée des intérêts légaux depuis le 30
novembre 2004 avec capitalisation des intérêts en application de
l'article 1154 du code civil pour sa rémunération supplémentaire nette
due pour la période du ler janvier 2008 au 30 novembre 2014 sur
l'invention objet du brevet FR 2 851 163 déposé le 14 février 2003 ou
par l'un ou l'autre des titres qui en sont issus ou qui sont issus de sa
priorité,
-ordonner à la société Pierre Fabre Médicament la communication par
attestation certifiée de son commissaire aux comptes dans les 3 mois de
la clôture de chacun de ses exercices y compris pour celui de l'exercice
2014 pour la période entre le ler décembre 2014 et le 31 décembre
2014, jusqu'à celui au cours duquel interviendra le terme de la dernière
revendication valable du brevet FR2851163 ou des titres qui en sont
issus ou qui sont issus de sa priorité sous astreinte de 10.000 euros par
semaine de retard, pour la période ou l'exercice considérés :
-le détail de tous les paiements reçus en rapport avec le brevet
FR 2 851 163 déposé le 14 février 2003 ou des titres qui en sont
issus ou qui sont issus de sa priorité par l'une ou l'autre des
sociétés du Groupe Pierre Fabre et par toutes les sociétés dans
lesquelles la société Pierre Fabre Médicament détient une
participation directement ou indirectement,
-les revenus nets ainsi dégagés,
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Décision du 26 Juin 2015
3ème chambre 3ème section
N° RG : 13/08458
-condamner la société Pierre Fabre Médicament à lui payer la somme
correspondant à 4 % de ces revenus nets au titre de la rémunération
supplémentaire nette pour l'exercice considéré et de lui adresser la
somme correspondante dans les trois mois de la clôture dudit exercice,
et passé ce délai, cette somme sera majorée des intérêts légaux avec
capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du code civil,
-rejeter les demandes de la société Pierre Fabre Médicament,
-ordonner l'exécution provisoire de la décision sollicitée,
-se réserver la liquidation de l'astreinte,
-condamner la société Pierre Fabre Médicament à lui payer la somme
de 15.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamner la société Pierre Fabre Médicament aux frais et dépens de
l'instance au bénéfice de Me Philippe Schmitt en application de l'article
699 du code de procédure civile.
A l'appui de ses demandes, Jean Derégneaucourt expose que :
-l'invention a rapporté à la défenderesse entre 2008 et 2014, 130
millions de dollars US et va assurer des revenus pour le laboratoire
jusqu'en 2024,
-le brevet permet la commercialisation dans le monde entier d'un
produit déjà validé, connu et maîtrisé et amélioré,
-son droit à indemnisation a été finalement reconnu en 2013 mais a été
subordonné à des conditions inacceptables et illégales,
-la société Pierre Fabre Médicament indique désormais que l'inventeur
doit recevoir une prime globale et forfaitaire en rapport avec le montant
de son salaire, ce qui selon le demandeur n'est pas conforme à la
convention collective ni à la jurisprudence de la Cour de Cassation,
-la convention collective est réputée non écrite car contraire à la loi du
26 novembre 1990 et aucun texte légal n'impose la fixation de la
rémunération de l'inventeur salarié en fonction de son salaire,
-à défaut de dispositions conventionnelles déterminant les modalités de
sa fixation, il convient pour chiffrer la rémunération supplémentaire, de
se référer au cadre général de la recherche, à la contribution originale
de l'inventeur, à l'art antérieur, aux difficultés de mise en oeuvre de
l'invention et à son intérêt économique,
-son rôle dans la découverte de l'invention a été majeur et capital, il
s'est impliqué dans la recherche et l'a fait aboutir, il est à l'origine des
recherches qui ont conduit à la brevetabilité, dès 2002 et à l'emploi du
test de Tukey,
-le brevet n'est pas dépendant du brevet antérieur et en tout état de
cause, l'employeur ne peut invoquer le défaut d'activité inventive pour
se soustraire à une indemnisation,
-le brevet est la condition du contrat de licence signé avec les
laboratoires Forest et a permis à la société Pierre Fabre Médicament de
percevoir 125 millions de dollars de redevances,
-le brevet présente un intérêt exceptionnel dans l'industrie
pharmaceutique, car il a bénéficié très rapidement d'une AMM aux
Etats-Unis, de sorte que les frais de recherches et développement
habituellement d'une quinzaine d'années, ont été limités à 5 ans,
-les rémunérations des inventeurs du brevet princeps ne constituent pas
des exemples transposables,
-la rémunération supplémentaire revenant au défendeur doit être fixée
à 4 % de la rémunération nette de la licence de 88.800.000 euros, soit
la somme de 3.554.282 euros.
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Dans ses dernières écritures signifiées par voie électronique le 10 avril
2015, la société Pierre Fabre Médicament sollicite du tribunal de :
Vu l'article L 611-7 du code de la propriété intellectuelle,
Vu l'article 29 de la convention collective de l'industrie pharmaceutique,
-fixer la rémunération supplémentaire de M. Derégnaucourt au titre de
sa qualité de co-inventeur du brevet FR 2 851 163 à la somme de
50.000 euros,
-débouter M. Derégnaucourt de sa demande au titre de l'article 700 du
code de procédure civile.
-Laisser les dépens à sa charge.
La société Pierre Fabre Médicament expose que :
-elle est l'employeur, le déposant et l'exploitant du brevet, de sorte que
la société Pierre Fabre doit quant à elle être mise hors de cause,
-le milnacipran, molécule découverte dans les années 1980 et
commercialisé depuis 1997, comme antidépresseur sous le nom d'Ixel
est composé de deux énantiomères (dextrogyre et levogyre) sous forme
de mélange racémique,
-le brevet concerne l'énantiomère dextrogyre qui permet tout comme la
molécule d'origine, de fabriquer un médicament anti-dépresseur avec
diminution des effets secondaires,
-le dépôt de brevet a été rendu possible grâce à la connaissance
antérieure de la molécule, aux recherches antérieures sur les énantiomères et de la priorisation de ce programme par l'employeur,
-l'exploitation commerciale de l'énantiomère dextrogyre a débuté aux
Etats Unis en décembre 2013, par les laboratoires Forest (médicament
Fetzima) et la défenderesse a supporté d'importants coûts de recherches
internes et externes et a tiré entre 2008 et 2014, 54 millions de revenus
nets, essentiellement du fait de paiements d'étapes liés à la licence et
non pas à la commercialisation du produit,
-la société Pierre Fabre Médicament ne conteste pas le droit à
indemnisation de Jean Derégneaucourt, qui doit être percevoir suivant
la convention collective, une prime globale versée en une ou plusieurs
fois, en rapport avec le montant de son salaire, et non pas sous forme de
pourcentage des revenus nets tirés de la commercialisation de
l'invention,
-les demandes correspondent à 18 ans de salaires de l'intéressé,
-l'invention a été initiée par l'employeur dans le cadre d'un programme
de recherches spécifiques et dans la lignée des recherches menées
antérieurement sur la molécule et avec les moyens de l'entreprise,
-l'intérêt de l'invention existe mais il se limite à étendre la portée de
l'utilisation déjà connue, à des populations limitées qui en étaient
exclues (personnes présentant des risques cardio-vasculaires),
-la rémunération de Jean Derégneaucourt doit être fixée en référence
des indemnisations perçues par les inventeurs du brevet princeps (70 et
75.000 euros).
La procédure a été clôturée le 05 mai 2015 et plaidée le 12 mai 2015.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Jean Derégneaucourt se désiste contre la société Pierre Fabre SA, ce
qu'il convient de constater, car cette partie défenderesse n'est ni
l'employeur du salarié inventeur, ni le titulaire et l'exploitant du brevet.
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3ème chambre 3ème section
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En application des dispositions de l'article L611-7 du code de la
propriété intellectuelle, "Les inventions faites par le salarié dans
l'exécution soit d'un contrat de travail, comportant une mission
inventive qui correspond à ses fonctions effectives, soit d'études et de
recherches qui lui sont explicitement confiées, appartiennent à
l 'employeur.
Les conditions dans lesquelles le salarié, auteur d'une telle invention,
bénéficie d'une rémunération supplémentaire sont déterminées par les
conventions collectives, les accords d'entreprise et les contrats
individuels de travail."
Il n'existe en l'espèce aucun accord d'entreprise ni de clauses du
contrat de travail, liant le salarié à son employeur, fixant les conditions
de la rémunération de l'inventeur.
Les parties s'accordent pour considérer que les dispositions de l'article
29 de la convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique,
subordonnant la rémunération supplémentaire de l'inventeur salarié, à
la double condition de la délivrance d'un brevet et de l'intérêt
exceptionnel de l'invention, sont réputées non écrites car elles ont pour
effet de restreindre les droits que le salarié tient de la loi et sont
contraires à la règle d'ordre public posée par le code de la propriété
intellectuelle.
Par contre, les parties s'opposent en ce qui concerne les modalités de
fixation de la rémunération à laquelle l'inventeur salarié peut prétendre.
En effet, Jean Derégnaucourt soutient que la prime ne peut pas être
fonction du salaire, car d'une part, la partie résiduelle de l'article 29 de
la convention collective précitée est sur ce point également inapplicable
et en tout état de cause, elle ne fait pas référence au salaire et d'autre
part, que la rémunération supplémentaire doit tenir compte de la marge
brute réalisée avec l'invention, conformément à la jurisprudence de la
Cour de Cassation.
La société Pierre Fabre Médicament quant à elle soutient que la
convention collective qui demeure applicable, évoque "une prime
globale versée en une ou plusieurs fois", laquelle doit présenter un
caractère forfaitaire, en rapport avec le salaire. Elle ne doit donc pas
être liée à la valeur de l'invention, ni être fixée par rapport à un
pourcentage des revenus nets dégagés par l'invention.
Sur ce,
L'article 29 de la convention précitée indique effectivement in fine que
le salarié se verra attribuer "une rémunération supplémentaire pouvant
prendre la forme d'une prime globale versée en une ou plusieurs fois".
Ces dispositions ne sont pas quant à elles contraires aux dispositions de
la loi et comme telles, ne doivent pas être considérées comme non
écrites et écartées, mais en tout état de cause, elles n'édictent aucune
méthode pour déterminer les modalités de fixation de la rémunération
supplémentaire.
Contrairement aux affirmations respectives des parties, les décisions
jurisprudentielles en la matière ne permettent, ni de considérer que la
prime doit être fonction de la marge brute générée par la
commercialisation de l'invention (comme l'expose Jean
Derégnaucourt), ni de retenir que la prime doit être globale, forfaitaire
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et évaluée au regard du salaire (comme le soutient la société Pierre
Fabre Médicament). Aucune des thèses soutenues par chacune des
parties ne peut donc être retenue.
En réalité, à défaut de disposition légale ou réglementaire fixant les
modalités de la rémunération supplémentaire due à un salarié pour une
invention de mission, non prévue par le contrat de travail ni par une
convention collective, ni par un accord d'entreprise, les juges doivent
par une appréciation souveraine en fonction des éléments de chaque
cause, évaluer la rémunération supplémentaire au vu des éléments qui
leur sont produits, en tenant compte du cadre général de la recherche,
de l'intérêt économique de l'invention, de la contribution personnelle
de l'inventeur et des difficultés de mise au point.
Cadre général de la recherche et difficultés de mise au point
Les laboratoires Pierre Fabre disposent depuis 1981 d'un brevet relatif
à la molécule du Milnacipran, découverte par ses équipes de recherche,
commercialisée depuis 1997 (en France sous le nom d'Ixel) comme
antidépresseur, composé sous sa forme racémique (mélange de deux
énantiomères en proportions équivalentes) de deux énantiomères, l'un
dextrogyre, l'autre lévogyre.
Les énantiomères sont les composés chimiques distincts et isolables
d'une molécule, qui disposent chacun d'une activité biologique propre.
L'étude des énantiomères dans l'industrie pharmaceutique est courante
depuis les années 1980 et permet de déterminer l'activité biologique
d'un médicament et d'isoler un principe actif sous forme
énantiomérique.
Les laboratoires Pierre Fabre ont mené une politique volontaire et
continue d'exploitation de leur "molécule-maison" sous forme
racémique et ont ainsi déposé plusieurs brevets (brevet français 85-
06335 : procédé de fabrication; brevet 96-10528 : forme galénique;
brevet 97-02094 : utilisation du milnacipran).
L'invention à laquelle Jean Derégnaucourt a participé intervient en
2003, alors que le brevet de 1981 est expiré, mais alors qu'il est fait une
utilisation des énantiomères du milnacipran, pour le traitement des
fibromyalgies (brevet international WO 03/039598 déposé par Cypress
Bioscience le 05 novembre 2002, sous priorité d'un brevet US 10/
014149 déposé le 05 novembre 2001).
L'invention porte sur les effets inattendus du seul énantiomère
dextrogyre du milnacipran F2695, qui est identifié depuis 1985, dans le
traitement de la dépression et sur la limitation des effets secondaires de
nature cardio-vasculaire et de toxicité organique et/ou tissulaire,
notamment hépatique, par rapport au mélange racémique.
contribution personnelle du salarié
Jean Derégnaucourt a été embauché en janvier 1998 en qualité de
"directeur de la recherche et développement- sous-famille médicament-
Famille: Direction branche" par la société Pierre Fabre Médicament,
pour exercer son activité "conformément aux directives qui lui seront
données par la direction générale"(article 1 du contrat de travail). Il est
désigné comme co-inventeur avec Richard Grousse, du brevet FR 03
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01849 déposé le 14 février 2003, intitulé utilisation de l'énantiomère
dextrogyre du milnacipran pour la préparation d'un médicament.
Jean Derégnaucourt soutient qu'il est à l'origine du lancement de la
réflexion ayant conduit à l'invention brevetée, dès avril-mai 2002, soit
avant juillet 2002; qu'il a fixé les objectifs de la recherche et effectué
dans le cadre d'une démarche innovante, personnelle et originale, les
analyses des données cardiaques sur le chien, au moyen du test de
Tukey qui n'apparaissait pas d'évidence à utiliser et en percevant le
caractère significatif des résultats ainsi obtenus; que son mérite est
d'autant plus grand qu'il est allé à l'encontre des avis des conseillers de
Pierre Fabre, sans être destinataire des informations détenues par son
employeur; qu'il est d'ailleurs désigné comme co-inventeur en premier
avec en second son subordonné, alors que Pierre Fabre n'est pas même
mentionné.
Il apparaît toutefois que le Laboratoire Pierre Fabre Médicament
souhaitait, dans la lignée de ses recherches sur le milnacipran et
disposant d'une antériorité indiscutable au sein du groupe dans ce
domaine, rechercher et trouver de nouveaux droits de propriété
intellectuelle.
En effet, la lettre du 31 mai 2002 de JF Patoiseau à Olivier Vitton
(pièce 16 du défendeur intitulée "énantiomères Milnacipran F2695)
évoque la volonté de l'employeur d'établir des droits de brevets sur le
F2695, même si le contenu est pessimiste ("faible chance de
brevetabilité et faible niveau de protection industrielle"), alors que le
document 17 "Projet Enantiomères-Applications au Milnacipran"
adressé par O.Vitton à Pierre Fabre, décline des actions dont
notamment l'organisation d'une réunion le 15 juillet (2002), avec
notamment le demandeur, pour obtenir "un effet inattendu ou une
corrélation avec un bénéfice pharmaco-clinique" en mentionnant que
"le F2695 supporte quantitativement l'essentiel [de l'activité sur la
recapture de la sérotonine et de la noradrénaline] " en suggérant une
recherche de tolérance cardiaque, d'interaction Levo/ Dextrogyre,
prévoyant dans un premier temps, une étude in vitro et in vivo sur le
primate, une étude de télémétrie sur le chien...avec un calendrier fixé
"programme réalisé à partir du mois de septembre - résultats
disponibles en janvier 2003" .
Le power-point établi à l'occasion de cette réunion du 15 juillet 2002
(pièce 34) relate que les modalités fixées au précédent document ont été
respectées, avec l'objectif d'essayer de "dégager des droits de
propriété intellectuelle" en indiquant que " le 2695 passe mieux seul
que lorsqu'il est associé à 50/50 à son image lévogyre" (c'est à dire
que l'énantiomère F2695 possède le principe actif recherché, plus
efficace que le principe actif racémique). Mais, ce document ne permet
pas de déduire, comme le soutient le salarié, que les études à son
initiative avaient débuté depuis plusieurs mois, bien avant juillet 2002.
Au contraire, il apparaît qu'avant cette date, il n'était pas associé à la
réflexion de l'employeur et qu'il n'a pas plus élaboré le calendrier et la
nature des travaux de recherche, alors que manifestement, le
Laboratoire Pierre Fabre souhaitait obtenir une protection prolongée du
milnacipran et avait défini une stratégie pour ce faire.
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En outre, les mentions du brevet (page 27 et suivantes) relatives à
"l'étude sur le chien vigile", qui exposent la méthodologie de
l'inventeur salarié, réalisée entre le 16 septembre 2002 et le 25 octobre
2002, sont contraires au calendrier évoqué ("en début d'année 2002")
par l'attestation de Alain Simonnard, alors responsable du centre de
toxicologie de Tours (pièce 15 demandeur) et affaiblissent les
affirmations du salarié sur ce point.
En revanche, le rôle de Jean Derégnaucourt a été déterminant dans la
mise en oeuvre technique et la conduite des recherches et notamment
dans la commande de l'étude de tolérance cardiaque chez le chien
réalisée au Laboratoire de Tours, en septembre-octobre 2002 et ce,
grâce à ses compétences professionnelles incontestables et sa pertinence
d'analyse des résultats de l'étude, au moyen du test dit "de Tukey", dont
il n'est pas établi qu'il devait d'évidence être utilisé.
Le salarié a permis et favorisé la découverte de l'invention brevetée,
faute de quoi il n'aurait pas été désigné par l'employeur comme l'un de
ses inventeurs.
Sur l'intérêt économique de l'invention
L'invention de Jean Derégnaucourt présente un intérêt économique
évident car elle organise une protection nouvelle des droits de propriété
intellectuelle de l'employeur sur la molécule, alors que le brevet initial
sur le milnacipran du 23 juin 1981 et les demandes déposées sur la base
de la priorité, avaient cessé de produire leurs effets et étaient tombés
dans le domaine public.
Le brevet n'est pas par ailleurs dépendant du brevet antérieur et
constitue un brevet solide avec une activité déjà validée.
Il a permis la conclusion aux Etats-Unis d'un contrat de licence en 2008
avec le Laboratoire Forest, lequel entretenait déjà des relations
d'affaires avec le laboratoire Pierre Fabre pour la commercialisation du
milnacipran dans le traitement de la fibromyalgie et appréciait le niveau
de sécurité et de succès de l'utilisation du milnacipran en Europe, qui
a généré le paiement en trois étapes au profit de la société Pierre Fabre,
de redevances de 125 millions de dollars US et il a pu bénéficier, dès
2013, soit 10 ans après son dépôt, d'une autorisation de mise sur le
marché sur le territoire américain, là où selon le demandeur, le délai est
plutôt de 15 années.
Le brevet a procuré des revenus de licence et fait l'objet actuellement
d'une exploitation commerciale comme médicament anti-dépresseur
sous le nom de Fetzima, avec une protection jusqu'en 2031 et 2032
(extension par deux autres brevets).
Il a permis en outre le dépôt de brevets postérieurs en 2007 (2916142),
en 2006 (2910 814), 2009 (2943537) et d'une demande PCT WO/2009/
071625.
Le brevet a néanmoins un objet plus limité que le brevet princeps car
il protège une utilisation déjà connue du milnacipran, comme antidépresseur,
étendue à une population particulière de patients et ne porte
pas sur une nouvelle molécule ni sur un procédé remarquable.
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Sur la rémunération supplémentaire de l'inventeur
Jean Derégnaucourt estime, au vu des pièces comptables produites que
les revenus de licence perçus par Pierre Fabre liés au brevet sont de
l'ordre de 89 millions d'euros qui doivent constituer l'assiette de sa
rémunération. En effet, les revenus de licence sont de 130 millions de
dollars US ou 105 millions d'euros et les frais de développement à
déduire sont de 16 millions d'euros, étant observé qu'il n'est pas tenu
compte des revenus de fourniture des principes actifs, cédés à prix
coûtant, qui ne dégagent pas de marge pour le laboratoire Pierre Fabre.
La société Pierre Fabre Médicament indique quant à elle que l'invention
a procuré un revenu net maximal entre 2008 et 2014, de 54 millions
d' euros.
Certes les revenus de licence entre 2008 et 2013 sont de 125 millions
de $, et les revenus d'exploitation sur une année de 4,3 millions de $,
dont il faut déduire les coûts de recherche exposés avant 2003 et les
coûts de développement entre 2003 et 2013, évalués au minimum à 40
millions d'euros. Sur ce point, son système informatique ne permet pas
d'extraire ces données et seul le coût de développement externe entre
2003 et 2013 de 17,5 millions d'euros est établi, mais il faut
comptabiliser un coût interne de développement équivalent pour la
même période, ainsi qu'un coût de recherches antérieur à 2003, évalué
à 5 millions d'euros.
L'employeur ajoute qu'en réalité ce chiffrage n'est pas significatif car
il faut plutôt comparer les coûts totaux investis par rapport au nombre
de nouveaux produits ayant effectivement obtenus une autorisation de
mise sur le marché, soit en l'espèce 3 AMM entre 2004 et 2014, pour
l'échec de développement de dizaines d'autres produits.
Par ailleurs, comme indiqué précédemment, Jean Derégnaucourt ne
peut tirer de généralité de précédents jurisprudentiels d'espèce, pour
prétendre à une rémunération sur la base d'un pourcentage de la marge
nette, fixé arbitrairement à la hausse à 4 %, outre l'octroi d'une
rémunération sur les revenus futurs postérieurs à 2014. En outre les
inventeurs du brevet princeps ont obtenu une rémunération de 70 à
80.000 euros au titre de leur invention.
Ainsi eu égard à l'ensemble de ce qui précède, le tribunal dispose des
éléments lui permettant de fixer à la somme de 100.000 euros la
rémunération supplémentaire devant être attribuée à Jean
Derégnaucourt. Cette somme produira intérêts au taux légal à compter
du 18 février 2013, date de la reconnaissance par l'employeur de la
créance du salarié inventeur.
Sur les autres demandes
La demande de communication sous astreinte des revenus annuels
jusqu'au terme de la protection du brevet ou des titres qui en sont issus,
est sans objet.
La société Pierre Fabre Médicament qui succombe supportera les
dépens et ses propres frais.
En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure
civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens, à payer à l'autre
partie, la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non
compris dans les dépens, en tenant compte de l'équité ou de la situation
économique de la partie condamnée.
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3ème chambre 3ème section
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La somme de 12.000 euros sera allouée à la demanderesse à ce titre.
Les circonstance de la cause justifient le prononcé de l'exécution
provisoire à hauteur de la moitié des sommes allouées.
PAR CES MOTIFS,
Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, mis à
disposition au greffe et en premier ressort,
Constate le désistement de Jean Derégnaucourt au titre de ses
prétentions formées contre la société Pierre Fabre SA,
Condamne la société Pierre Fabre Médicament à payer à Jean
Derégnaucourt, la somme de 100.000 euros à titre de rémunération
supplémentaire, avec intérêts au taux légal à compter du 18 février
2013,
Condamne la société Pierre Fabre Médicament à payer à Jean
Derégnaucourt, la somme de 12.000 euros pour frais irrépétibles,
Condamne la société Pierre Fabre Médicament aux dépens,
Déboute les parties de leurs plus amples ou contraires prétentions,
Ordonne l'exécution provisoire de la décision pour moitié des sommes
allouées,
Autorise Me Philippe Schmitt, avocat, à recouvrer directement ceux des
dépens dont il aurait fait l'avance sans en avoir reçu provision.
Fait et prononcé à Paris le 26 juin 2015
Le président,