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Inventions de salariés et de dirigeants sociaux, procédure civile
Inventions de salariés et de dirigeants sociaux, procédure civile
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Inventions de salariés et de dirigeants sociaux, procédure civile
22 décembre 2010

Un directeur d'usine salarié, licencié suite à sa demande de paiement d'un juste prix pour son invention attribuable...

Cour d’appel de Toulouse BARICOS c/ SA ETIENNE LACROIX Tous Artifices arrêt du 19 mai 2010

 

Convention collective de la chimie - Rémunération d’inventions de mission et attribuables – Demande du salarié de révision de la rémunération accordée en première instance de 28 inventions de mission et de 23 inventions hors mission attribuables – Abandon de brevets par l’employeur couvrant une invention hors mission sans motif ni versement d’un juste prix au salarié - comportement fautif de l’employeur -  abandon non motivé – Dommages- intérêts (oui)- Prescription quinquennale (non) – créances de l’inventeur salarié d’un montant indéterminé faisant l’objet du litige

 

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1)      Les faits

 

18 juin 1984 : Jean BARICOS est engagé comme ingénieur de recherche & développement par la société Etienne LACROIX, qui fabrique et commercialise des explosifs et artifices.

 

De 1984 à 1987 il est chef de projets puis responsable technique au sein du bureau d’études, puis de 1987 à 1989 J. BARICOS est directeur technique et commercial d’une ligne de produits.

 

De 1989 à 1992 directeur marketing et d’une ligne de produits ; de 1993 à 2000 directeur des recherches et développement ; de 2000 à 2003 directeur opérationnel et de l’activité pyrotechnologie, de 2004 à 2006 directeur adjoint marketing et ventes de l’établissement situé à Mazères.

 

En 26 ans M. BARICOS n’a jamais reçu la moindre rémunération supplémentaire ni un juste prix pour l’une quelconque de ses 51 inventions brevetées ( ! ) - 2 par an en moyenne. Malgré l’article 17 de la convention collective des Industries chimiques qui fait obligation à l’employeur de verser des rémunérations supplémentaires pour toutes inventions exploitées dans les 10 ans suivant le dépôt du brevet, et malgré la loi du 26 novembre 1990.

 

La dernière invention a pour objet un produit dit « flèche à neige hybride » anti- avalanches et comportant un explosif solide ou en pâte associé à un explosif liquide. Elle est hors mission attribuable et a fait l’objet d’une demande de brevet français 05-08448 du 9 août 2005. La décision d’extension à l’étranger a été prise le 29 juin 2006.

 

Le 27 septembre 2006 J. BARICOS reçoit les formulaires d’extension à l’étranger, notamment la cession de ses droits pour les USA – à signer en tant d’inventeur.

 

Le 2 octobre 2006 il répond à son employeur qu’il subordonne la signature de ces pièces à la réalisation d’un accord sur le montant de juste prix qui lui est dû pour l’attribution de cette invention hors mission.

 

Le 19 octobre 2006 la Sté LACROIX adresse à l’inventeur M. BARICOS un courrier l’informant qu’elle renonce à l’extension du brevet français à l’étranger et qu’elle décide de ne pas développer le produit couvert par ce brevet, sans fournir aucune explication à cette soudaine décision. 

 

Le 26 octobre 2006 soit 7 jours après, il est licencié "pour motif économique".  Ce licenciement sera jugé abusif, sans motif réel et sérieux par la chambre sociale de la cour d’appel de Toulouse.

 

Le 24 novembre 2006 J. BARICOS assigne LACROIX devant le TGI de Toulouse en paiement des rémunérations supplémentaires et des justes prix.

 

Le 7 février 2008 le TGI de Toulouse rejette le moyen tiré de la prescription qui serait écoulée selon LACROIX, accorde 3000 euros pour chacune des 26 inventions de mission soit 78000 euros ; 108000 euros pour les inventions de mission dont la « flèche à neige hybride », et 3000 euros de dommages – intérêts pour la perte des droits sur cette invention entraînée par l’abandon du brevet par LACROIX sans offre de rétrocession à l’inventeur.

 

2)      L’arrêt du 19 mai 2010

 

La Sté LACROIX a interjeté appel de cette décision.

 

« Elle soulève la prescription quinquennale de l’article ancien 2277 du code civil pour les inventions antérieures à 2001 dont le point de départ est celui de la mise en exploitation de l’invention même si le salarié ne disposait pas des informations comptables ou commerciales… »

 

En appel elle soutient n’avoir commis quelque faute au sens de l’article 1382 du code civil et avoir dû abandonner l’exploitation de l’invention sur la flèche à neige hybride « pour des raisons de sécurité et de compétitivité évidentes dès lors que ce produit associe deux explosifs, l’un solide et l’autre liquide, de sorte qu’en cas de dysfonctionnement la charge explosive demeure active et dangereuse pour les personnes du fait du défaut d’autostérilisation, à la différence de la flèche classique qui utilise un explosif liquide dut autostérilisable et donc rendu inerte en cas de raté de fonctionnement d’un tir. »

 

M. BARICOS demande notamment 84000 euros pour 28 (en fait 27) inventions de mission, dont 10 ont été exploitées dans les 10 ans du dépôt des brevets respectifs, et 17 n’ont pas été exploitées.

 

Le classement hors mission de 22 inventions est admis dès lors qu’elles ont été réalisées durant les périodes où M. BARICOS n’était investi d’aucune mission inventive, ce qui n’est pas contesté.

 

Pour 22 inventions attribuables à raison de 6000 euros par invention exploitée et 3000 euros par invention non exploitée, M. BARICOS demande 93000 euros.

 

2.1) Prescription

 

La cour d’appel rejette le moyen tiré de la prescription quinquennale en ces termes, appliquant la règle jurisprudentielle désormais établie par l’arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 22/02/2005 Scrémin c/ APG qui a fait jurisprudence :

 

« Est soumise à cette prescription quinquennale l’action engagée par M. BARICOS en paiement de la rémunération supplémentaire due pour ses inventions de mission, qui ne trouve sa justification que dans son contrat de travail.

 

Mais une telle prescription n’atteint les créances que si elles sont déterminées.

 

Tel n’est pas le cas de celle invoquée par cet ancien salarié dès lors que la fixation de sa rémunération fait l’objet d’un litige entre les parties.

 

En effet, elle est contestée par l’employeur tant dans son principe que son montant et aucun règlement n’est jamais intervenu.

 

Au surplus l’article 1ter- II 2° de la convention collective nationales des industries chimiques applicable à la cause met à la charge de l’employeur l’obligation d’informer le salarié « du cadre général de la recherche dans lequel s’est placée l’invention, des difficultés de la mise au point pratique, de la contribution originale personnelle de l’inventeur et de l’intérêt économique de l’invention », tous critères permettant d’évaluer la rémunération supplémentaire » (NDLR. – la cour d’appel oublie qu’il faut aussi un mode de calcul !)

 

Or la société LACROIX ne justifie pas avoir communiqué avant le 24 novembre 2001 tous les éléments qui permettaient au salarié d’apprécier l’étendue de ses droits, la simple connaissance de l’exploitation commerciale ne suffisant pas à considérer que l’obligation d’information a été exécutée, notamment au vu de l’intérêt économique des inventions ni que la créance de rémunération était déterminable. »

 

2.2)            Rémunération des inventions de mission

 

La cour de Toulouse rappelle à juste titre que « la rémunération supplémentaire est due à M. BARICOS quelle que soit la date de réalisation de l’invention, antérieure ou postérieure à 1990, dès lors que la convention collective (…) instaurait déjà le droit pour le salarié à cette rémunération supplémentaire en rapport avec la valeur de l’invention et donc une rémunération obligatoire. »

 

Les juges du fond relèvent ensuite que « la seule norme contractuelle régissant cette rémunération est l’article 1ter II 2° de la convention collective des industries chimiques ainsi libellée : «  si dans un délai de 10 ans consécutif au dépôt d’un brevet (…) ce brevet a donné lieu à une exploitation commerciale ou industrielle, directe ou indirecte, l’ingénieur ou cadre dont le nom est mentionné dans le brevet a droit à une rémunération supplémentaire en rapport avec l’invention… »

 

La cour d’appel constate que sur 27 inventions de mission et brevets de priorité correspondants, « 10 ont fait l’objet d’une exploitation au 1/09/92006, soit dans le délai prévu par la convention… »

 

Pour chacune de ces 10 inventions exploitées, la cour de Toulouse alloue à l’inventeur la modeste somme de 3000 euros qu’il demande, sans examiner les chiffres d’affaires et marges bénéficiaires réalisés (une demande d’expertise a été rejetée ; pourtant, au vu du nombre d’inventions et des durées d’exploitation, elle aurait été amplement justifiée).

 

LACROIX avait tenu en 2006 « des réunions sur la « politique des brevets » dont les compte- rendus sont versés aux débats, proposant une prime spécifique de 1500 euros versée à chaque inventeur cité sur un brevet et à sa publication et l’octroi d’une prime complémentaire trois ans plus tard. »

 

..Autrement dit environ 3000 euros par brevet…montant bien modeste que M. BARICOS s’est contenté de demander en justice, puisque cette « politique des brevets » ne lui était pas appliquée…

Pour les 17  brevets non exploités dans les 10 ans la cour d’appel n’accorde rien à l’inventeur : elle applique à la lettre la clause « inventions » de la convention collective de la chimie…

 

Il s’agit d’une décision isolée à contre- courant  de la jurisprudence constante depuis 2000, contraire à la décision de 1ère instance, et qui suscite la critique.

 

Cette jurisprudence constante accorde une rémunération supplémentaire au salarié auteur de l’invention même si le brevet n’a pas été exploité (de l’ordre de 1500 euros). Il peut en effet avoir néanmoins un intérêt stratégique comme brevet de barrage  barrant une route à la concurrence.

 

Une rémunération supplémentaire est allouée par cette jurisprudence même si une demande de brevet n’a pas été déposée, partant du constat que l’article L. 611-7 n’exige ni exploitation de l’invention, a fortiori dans un délai déterminé (5 ans, 10 ans..), ni même le dépôt d’une demande de brevet.

 

Refuser la rémunération supplémentaire au motif de la non- exploitation de l’invention dans les 10 ans réduit donc de façon illégale les droits du salarié en-deçà du plancher légal obligatoire de L. 611-7. Et une loi est d’un  rang supérieur à une convention collective, en l’occurrence celle de la chimie. En cas  de distorsion entre les deux, c’est la loi qui obligatoirement s’applique. Ce qui a échappé aux juges de la cour de Toulouse.

 

C’est la raison pour laquelle deux décisions de 2009 ont déclaré inopposable au salarié et réputée non écrite cette clause des 10 ans de la convention collective de la chimie (V.sur le présent blog, nos commentaires de ces décisions).

 

2.3)            Juste prix des inventions hors mission attribuables

 

La cour de Toulouse confirme les sommes (modestes et forfaitaires) allouées par le tribunal pour 22 inventions attribuables et demandées par le salarié, soit 3000 euros par invention non exploitée, et 6000 euros par invention exploitée.

 6000 x 9 + 3000 x 13 = 93000 euros

2.4) Durée de prescription de l'action en paiement du juste prix des inventions attribuables

Cette question n'a même pas été soulevée tellement la réponse était évidente pour les parties, y compris la Sté LACROIX: pour cette catégorie d'inventions selon une jurisprudence constante la prescription est trentenaire de droit commun selon l'ancien article 2262 du Code civil, et son point de départ est la date de dépôt de la demande de brevet. Une décision isolée (TGI Paris mars 2004 VILA c/ L'OREAL) a admis la prescription de 10 ans de l'article 110-4 du Code de commerce. Décision saugrenue puisque le salarié et son employeur n'entretiennent pas entre eux des relations commerciales relevant du Code du Commerce, mais des relations de salarié à employeur relevant du Code du Travail !

Le salarié J. BARICOS est l'auteur de 21 inventions attribuables qui ont fait l'objet de  demandes de brevets déposées de 1991 à 2003. Il a assigné la Sté LACROIX le 24 novembre 2006.

De 1991 à fin 2006 il s'est écoulé 16 années et de 1996 à 2006 une durée de 10 années sans que l'action relative à ces brevets ait été déclarée forclose. Il s'agit donc bien de la prescription trentenaire de droit commun, en vigueur avant la loi du 17 juin 2008.

 

2.5)            Invention hors mission sur la flèche à neige hybride objet du brevet FR 05 88448 en date du 9 août 2005

 Nous avons exposé plus haut les faits qui ont abouti à l’abandon de l’extension étrangère décidée et du développement de cette invention.

 

La cour d’appel donne la seule interprétation possible du comportement de l’employeur après que le salarié lui eu fait savoir, le 2 octobre 2006, qu’il subordonnait la signature des pièces qu’on lui envoyait à la conclusion d’un accord sur le juste prix en contrepartie de la cession de cette invention à l’entreprise.

 

Le salarié ne demandait rien d’autre que l’application de la loi (article L. 611-7, 2°) pour cette invention attribuable, loi continuellement bafouée à l’égard de M. BARICOS de même que la convention collective par l’entreprise depuis 1984.

 

La cour se prononce clairement :

 

« Le revirement opéré par l’employeur dans sa lettre du 19 octobre 2006, non motivée, reste inexpliqué si ce n’est par la teneur du courrier du salarié du 2 octobre 2006, auquel il fait d’ailleurs expressément référence, subordonnant la signature de ces documents à un accord préalable sur le juste prix relatif à cette attribution. Il invoque aujourd’hui dans ses écritures avoir dû se résoudre à l’abandon de l’exploitation de la flèche à neige hybride pour des raisons de sécurité et de compétitivité évidentes. Mais outre que ses dires, ne sont étayés par aucune donnée, de nature technique ou autre, ils ne font référence à aucun évènement particulier survenu dans l’intervalle de temps entre la transmission du formulaire d’extension de la protection de l’invention et l’avis d’abandon de son développement.

 

Ils ne peuvent anéantir l’incohérence de sa réponse, son caractère abrupt et pour le moins désobligeant vis-à-vis de cet inventeur et la légèreté blâmable avec laquelle cette société s’est appropriée l’invention, pour ensuite s’en désintéresser sans la moindre explication et sans manifester la moindre volonté d’en proposer un quelconque prix à celui- ci.

 

Ce comportement revêt un caractère fautif nécessairement source de préjudice moral pour M. BARICOS qui sera intégralement réparé par l’octroi d’une somme de 10 000 euros. »

 

              Ces faits parlent d’eux-mêmes. Ils illustrent hélas un cas extrême, mais bien plus fréquent qu’on ne peut l’imaginer, à en juger par le nombre de plaintes reçues par l’Association des Inventeurs salariés (AIS) www.inventionsalarie.com/  et par le gestionnaire de ce Blog. Ce qui confirme l’enquête menée en 2008 par l’Observatoire de la Propriété Industrielle de l’INPI sur la pratique des rémunérations d'inventions de salariés dans les entreprises françaises (V. site de l'Observatoire de la PI de l'INPI). Cette enquête a fait apparaître qu’un tiers au moins des entreprises françaises, dont 2/3 des PME, ignorent systématiquement la loi de 1990 - et souvent aussi leur propre convention collective comme c'est le cas dans le présent litige BARICOS/LACROIX - et donc corrélativement l’obligation légale et/ou conventionnelle de rémunération supplémentaires des inventeurs salariés, forçant ainsi leurs salariés à un choix impossible :

 

-          Soit renoncer à leurs droits légaux à rémunération supplémentaire pour ne pas être licenciés, en se réservant éventuellement d’assigner l’entreprise après l’avoir quittée (départ en retraite, embauche dans une autre entreprise) ; c'est ce qui explique de nombreuses assignations tardives.

 

-          Soit revendiquer leurs droits à rémunération d’invention et être automatiquement licenciés. Cette menace de l'arme de représailles absolue est brandie très rapidement à partir de la demande de rémunération, l’AIS et l’auteur de ces lignes en reçoivent des témoignages multiples, parfois stupéfiants de brutalité. C’est ce qui est arrivé dans la présent litige à M. BARICOS…après 26 ans de bons et loyaux services ainsi récompensés, 51 inventions et une très belle carrière qui l’avait conduit à un poste directorial…

 

Ces comportements se résument ainsi :

 

-                     Refus d’appliquer la loi du 26 novembre 1990

 

-                     Refus d’appliquer les conventions collectives comme celle de la chimie : refus d’informer les inventeurs sur l’exploitation de leurs inventions, refus de toute discussion avec le salarié sur une rémunération supplémentaire d’invention, menaces de licenciement, brimades et mise au placard si le salarié insiste, licenciement brutal avec un motif fantaisiste (par exemple « économique »)..

 

-                     Dans la présente espèce, le comportement de l’entreprise, qui dispose d’un portefeuille de 400 brevets et est donc rompue à l’application des lois de propriété industrielle qu’elle ne peut ignorer, représente un cas extrême :

 

-                     Refus pendant 26 ans d’appliquer la convention collective de la chimie aussi bien que la loi de 1990

 

-                     Revendication d’attribution d’une invention hors mission, refus constant de toute discussion, refus de toute négociation avec l’inventeur d’un accord fixant le juste prix pour cette cession conformément à la loi, refus de paiement d’un juste prix ( ! )

 

-                     Abandon brusque du développement de l’invention et des brevets étrangers notifiée sans motif à l’inventeur 17 jours après demande de celui- ci d’une négociation en vue de déterminer le juste prix de l’invention,

 

-                     Enfin quelques semaines après licenciement « économique » de l’inventeur sans même lui proposer de lui rétrocéder le brevet !

 

Le parfait exemple de ce qu’il ne faut pas faire pour une entreprise !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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